Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

lundi 20 mai 2013

Recension de Vincent CARRAUD, Pascal, Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, Vrin, 2007, « Bibliothèque d’histoire de la philosophie », 281 p. 


Jean-Maurice Monnoyer


Parmi les recueils d’articles que nous avons recensés dans ce n°, aucun n’est mieux structuré que celui-ci : chaque article demeure (dans cette recollection) en rapport étroit avec sa destination et son public initial. Il est « re-situé », et intégré dans un ensemble impressionnant de complicités et de convergences d’atelier sur des points qui ne sont jamais secondaires. Bien que certains penseront que l’A. ne varie pas de son point de vue, et conserve les mêmes clivages interprétatifs que dans Pascal et la philosophie (PUF, 1992), ceux-là n’auront point tort autant que d’autres de ses lecteurs, qui ont de bonnes raisons de le soutenir aussi : car ces essais sont en effet des « ajouts » ou des rajouts (p.18), mais sont aussi des crayons un peu plus poussés que Pascal et la philosophie n’avait laissés qu’entrevoir (§ 16,18, 21,22). Le bénéfice n’est pas douteux. Sur 3 ou 4 points, l’A. ne fait pas seulement que « compléter » son premier opus universitaire, il le corrige aussi avec une modestie presque un peu trop voyante et cependant réelle (v. p. 51 ou p. 215). Après V. Carraud, on ne peut plus envisager le Pascal dévot et le philosophe averti qu’il est aussi, de la même manière, surtout pour ce qui concerne le double rapport à Montaigne et à Descartes qu’il établit très scrupuleusement. C’est en quoi le spécialiste d’un auteur — expression souvent péjorative — montre ici son meilleur visage : ce livre est d’après nous passionnant, par son contenu didactique et sa lecture profondément textuelle en « histoire de la philosophie moderne », mais aussi indépendamment de son érudition, par son spectre élargi, qui met l’ouvrage en perspective (avec Augustin mais aussi avec Locke). Je note au passage la référence à Pierre Petit, qui objecte à la Dioptrique par l’inter-médiaire de Fermat (p.22 : Pascal sous ce rapport aurait été un cartésien de la toute première génération, avant de suspecter sa physique qui s’émancipe de l’expérience), comme justement il faut relever la référence à ces « nouveaux » physiciens que Tullio Gregory a contribué à exhumer : atomistes, vacuistes ou finalistes (p.30-36), globalement impies aux yeux de Mersenne.

V. Carraud est l’héritier de ce courant de la spiritualité critique au XXe, qui va depuis H. Gouhier à H. de Lubac ou de L. Cognet à P. Sellier, pour ne nommer que certains des principaux acteurs. Toute cette information repensée qu’il recueille est précieuse, et nous la retrouvons dans le très beau texte sur Bérulle (pp.139-162), hommage à Jean Orcibal, et prolon-gement lumineux sur l’exinanitio qui (à la différence de l’annihilation et de l’abnégation humaine) fonde la kenose du Christ. Pourtant le chapitre qui suit, consacré aux « sens du néant » chez Pascal, laisse d’abord peser un doute sur cette confrontation de la « misère » de l’homme et du néant dévotionnel, qui paraît là ne pas s’imposer avec Bérulle (on peut ne pas garantir la filiation supposée et assez conjecturale, par Saint Cyran en personne, de l’enseignement du Cardinal). Mais la lecture des deux chapitres au suivi convainc de l’efficacité de ce travail par un chemin différent. Carraud prouve tout au contraire (nous y reviendrons) que c’est en rapport avec le Descartes de la Meditatio Quarta que le néant change de nature : il n’est plus anéantissement consenti par l’exercice spirituel ; il devient pour Pascal une « séparation » cognoscive d’avec Dieu. Descartes avait écrit : « je participe en quelque manière du néant, quodammodo de nihilo » (AT VII, 54). L’A. en déduit que si Descartes, dans ce passage, fait de l’erreur une pure négation, c’est que le néant s’interpose entre Dieu et l’homme (me tanquam medium inter Deum et nihil) : « je me trouve établi comme quelque chose qui tient le milieu entre Dieu et le néant », un passage que Pascal aurait interprété selon l’A., citant La lettre à Le Pailleur : « la chose que nous concevons et que nous exprimons par le mot d’ espace vide tient le milieu entre la matière et le néant, sans participer ni à l’un, ni à l’autre » (p.173)[1]. Le rapprochement n’est pas évident, à cause de cette présence du vide spatial, mais comme Carraud rappelle que Descartes affirme que je me forme une idée si je puis dire négative du néant en m’éloignant de l’idée positive que j’ai de la perfection de Dieu, il est naturel que je sois induit en erreur, dès que de cette positivité je me trouve écarté « constitutionnellement », parce que je me trompe en effet, alors que rien en moi ne peut faire que je sois trompé, quatenus a summo ente sum creatus. Pascal : des connaissances naturelles à l’étude de l’homme apporte ainsi beaucoup à son lecteur et sur Descartes et sur Pascal évidemment, dans un appareil de lectures parallèles qui ne sont jamais gratuites. Nous disposons d’un ouvrage non pas tant pointu que pointilleux, patiemment élaboré dans tel ou tel compartiment de lecture (j’entends presque au sens archivistique des « lexies », voir le passage sur le quisnam, p.124[2]). Qu’on regarde dans cet esprit l’excellente étude dédiée à Giulia Belgioioso, « La physique de Descartes » ; celle dédiée à la mémoire de Mme Rodis-Lewis, « Le véritable auteur du cogito », ou « L’invention du moi », dédié à Jean-Luc Marion. Ce sont des réussites.

V. Carraud n’a pas tort de dire que la cohérence thématique de son livre est relativement évidente. Il ne cache rien non plus de sa solidarité avec Emmanuel Martineau pour sa ré-édition du Discours sur la religion et sur quelques autres sujets, pensé comme un texte moins discontinu, qu’on aurait artificieusement fragmenté pour lui faire dire autre chose qui fût plus pathétique que conceptuel. De très fréquentes corrélations, collages, retouches, reformulations, repentirs et reprises, permettent de saisir au plus près l’exogénèse (le point de départ d’un texte de Descartes chez Pascal, ou d’Augustin chez Montaigne). C’est aussi que cette lecture complice conforte l’A. dans sa découverte — et l’approfondissement marqué dans cet ouvrage-ci — des deux anthropologies de Pascal : voir p. 236-244, l’allusion au « diphysisme » selon Martineau (p.238-240), ou la rupture avec l’anthropologie dualiste (p.243), d’après lequel au fond la dimorphie de l’ange et de la bête n’est que la différence ontique entre deux suppôts. Pour qui voudrait entendre de quoi il retourne, contre l’apparence souvent, Carraud lui sera de référence indispensable. Se jouant comme un « décepteur » professionnel des illusions de la recherche, il lui fournit la preuve manquante qu’on s’égare en suivant une piste analogique et fourvoyante (deux passages exemplaires, p. 92, et p.113 le font vérifier). Il y a chez cet A. une sorte de passion détractiviste, et un goût paradoxal pour la précision. La lectio difficilior l’emporte souvent et souvent malgré lui, s’il le faut contre l’évidence même, et dans nombre de cas avec raison. Parfois Carraud vous produit une note de 2500 signes (pp.216-217) qui agace par sa ténacité, et qu’on jugerait comme un défaut d’intempérance, mais quand il s’agit de discuter de l’agrément et de l’impossibilité de mettre l’art d’agréer sur le même plan que l’art de persuader, il est très légitime d’entrer dans le détail comme l’A. le propose à sa manière.

Le contre-cartésianisme de Pascal à cet endroit des Passions est en effet percutant. Selon Carraud, Descartes, en disant à l’article 90, que l’agrément au sens de la passion amoureuse (qui se représente la complétion de l’autre sexe dans un tout désirable) est « confusément représentée par la nature comme le plus grand des biens imaginables » (AT., XI, 396,2), invite à penser que la représentation confuse d’un agrément de ce genre est la « représentation confuse d’une union ». Je ne suis pas sûr que la conséquence suive nécessairement. Mais pour ce qui est de l’explication pascalienne, je ne doute pas que Carraud voie juste contre le paradigme du convenable et de l’aimable : non pas tant que le moi estimable de Descartes s’oppose au moi haïssable de Pascal, mais parce que le rapport intime au désagrément est différent (comme le dit ce dernier : « Rien ne fait mieux entendre combien un faux sonnet est ridicule que d’en considérer la nature et le modèle et de s’imaginer ensuite une femme ou une maison faite sur ce modèle-là (LXXIII/585) ».) Les distinctions catégorielles de Carraud sont acadé-miquement impeccables : Pascal, « relativisme sans subjectivisme » ; Descartes, « subjectivisme sans relativisme » ; Montaigne, « relativiste subjectiviste » (p.219). Indépendamment des formules néanmoins, le rapport divergent est analysé avec une précision judiciaire, et parfois cassante, ainsi quand Pascal est supposé dessiner une vertu « sans sujet vertueux ». Peut-on dire pourtant que l’exégèse de Carraud ne soit pas correcte, tant cette morale pascalienne qui voit s’insinuer le vice dans la vertu, est celle de savoir comment « penser en chrétien après Descartes » (p. 207) ? ­— Ce n’est pas qu’un débat organisé entre doctrines, par tel exemple de Montaigne, ou tel autre biblique de Pascal, mais c'est aussi une confrontation réelle qui révèle d’autres sources d’interprétation : par ex. qu’il n’y a pas de cogito généreux, chez Descartes même (p. 231), puisque la maîtrise de ma volonté peut-être suspendue. On pourra discuter longuement pour savoir si l’utilité des passions (art 54, art.164) a le sens d’un génitif subjectif (fonctionnel et thérapeutique) ou objectif (plus pascalien alors, au sens où « il faut s’en servir comme d’esclaves ») — mais plus généralement il est vrai que la remise en cause des distinctions conceptuelles de Descartes opérées par Pascal lui-même constitue l’apport le plus novateur de la recherche de Vincent Carraud.

Quelque chose l’explique sur un plan qui n’est pas textuel, mais presque doxographique. D’une part, il est vrai que Pascal a construit Disproportion de l’homme à partie de la Méditation IV (ou du moins, il lui doit plus qu’une simple allusion) ; de l’autre, il est troublant de penser que ce soit à travers le Nietzsche II de Heidegger que cette opération de lecture ou d’attribution soit ré-affirmée en plusieurs endroits dans l’ouvrage (p. 172, p. 206-207). On ne comprend pas entièrement l’intérêt de cette référence, mise à part le medium quid inter Deum et nihil évoqué ci-dessus (p. 157 dans la traduction Klossowski chez Gallimard, 1971), car ce passage sur « le nihilisme européen » est plutôt une compilation, où Descartes et Protagoras prépa-rent l’ego voulant de la métaphysique de la subjectivité, laquelle paraît si éloignée de Pascal en substance et en esprit. Pourtant, ce qui est supposé dans la 3eme partie du livre est « La fin du néant », et de fait par son articulation depuis l’article sur la physique (« La physique de Descartes : parler de tout », ch.2) jusque l’étude de l’homme (4e partie), l’A. s'emploie méthodiquement à briser les certitudes épistémologiques positives du sujet connaissant. Les deux anthropologies pascaliennes seraient conçues telles que, selon une expression de E. Martineau mise en avant, une fois la vérité physique de Descartes reconnue par Pascal, il apparaîtrait alors que sa « philosophie serait une non-vérité humaine » (p.41). La perspective nihiliste serait accomplie par Pascal à sa place, mais dans un autre sens : il aurait conçu le De Homine que Descartes n’a pas écrit (p. 48). Pourquoi une telle conjecture ?

Est-ce par amour du paradoxe ? Carraud estime que la lecture des manus-crits de Pascal le montre avec force. Si on considère la nature avec le même soin qu’on le fait de l’homme, alors il s’ensuit nécessairement la disproportion, et donc le hiatus anthropologique frappant le subjectum évoqué par Heidegger. Que le monde soit composé comme une machine, ce n’est pas une machine humaine qui le fonde. Si la matière est la machine du monde (sic), au sens où la mécanique est la grande nouveauté scientifique et technique, Pascal considère que « composer la machine » est une aberration et une hérésie. Cela peut être vrai physiquement, mais demeure inutile (« inutile et certenne » retranscrit en « inutile et incertain, p. 51.). Cette thèse qui sera reprise par Condillac est une critique du de omni scibili de Descartes, une prétention de l’imagination qui tombe sous le coup de l’analyse anthropologique.

Concernant les sciences naturelles, Pascal est bien inspiré par Descartes : ce sont des « choses spéculatives et d’imagination », des sciences abstraites. Dans l’interprétation de Carraud, qui repose sur la connaissance supposée en 1657 du Tome I des Lettres publiées par Clerselier, Pascal refait une lecture — cette fois ambivalente — des Principia. Sa première anthropo-logie n’en dépend pas (du moins dans l’apologétique de la Conférence de Port-Royal). Elle serait marquée par l’opposition misère/dignité, par le jeu des contrariétés, et s’inspirerait d’Augustin (du De Vera religione), où l’homme est désigné comme « personne » par un oxymore étrange. La seconde anthropologie pascalienne ne considèrerait que les comportements con-crets (non-machiniques, si l’on veut) et se concentre sur des grands dis-cours : de la gloire, de l’imagination, de la justice, de la force et du divertissement. Il n’y a plus ici d’apologétique, mais cette anthropologie phénoménologique (p.240) qu'aurait prophétisée Heidegger. Si l’on a quelques hésitations à le penser, il n’en reste pas moins que le raturage de Pascal est probablement une critique effective de la métaphysique et un nihilisme de la finitude. Après avoir étudié le divertissement, l’ennui, l’appréhension de la mort, Carraud fait peut-être une découverte expressive en soulignant que la pensée communicable quand elle s’appuie sur la pensée de soi « signifie imaginer, s’imaginer » (p.264). Pour entendre la célèbre disqualification de l’imagination dont Pascal est le chantre, Carraud termine son livre sans l’opposer à la raison, telle « une puissance qui serait comme un sujet dans le sujet », et pour laquelle l’aliénation serait le doux contraire de l’estime de soi.

Ces considérations nous ramènent ainsi aux deux chapitres très travaillés qui vont de l’Ego au Moi. Là encore, l’A. soutient deux thèse audacieuses : 1/la dévalorisation de l’Ego augustinien ; 2/ une sorte de reréation lexicale — la sémantèse de la substantivation du moi, de sorte que Pascal serait l’auteur véritable de la dénomination de cet animal dépravé et égotique, dessaisi de sa primauté métaphysique. Impossible pour nous de résumer ce cheminement qui s’appuie sur les citations d’Augustin chez Montaigne et le travail de P. Sellier paru en 1970 (réédité en 1995) sur les rapports de Pascal et Augustin. Mais les disputes sont vives, et Carraud entend relever les traces nombreuses d’ « anti-augustinisme », particulièrement en ce qui concerne la possibilité que Descartes et Augustin eussent dit « la même chose ». Le point 1/ signalé ci-dessus ne peut tenir qu’en raison de ce que le Je pense donc je suis est pensé comme un principe corroborant l’idée que la matière est dans une incapacité naturelle de penser (p.84). Pascal lisant le Discours puis les Objections aux Méditations se convainc très vite — via Arnaud — que l’énoncé du cogito est présent dans le De libero arbitrio et dans le De Trinitate. Mais il n’y est pas présent en tant que principe. La page 92 de ce livre est ici sans doute la plus représentative de la recherche entreprise. Carraud relève un point de correction des manuscrits. Autre chose est de dire que la métaphysique est au principe de la physique, autre chose de faire du   je pense donc je suis le « principe » de la physique cartésienne — mais non de la métaphysique (or toutes les éditions modernes, à l’exception du manuscrit de Sainte Beuve font la même correction). Bref, le cogito libère la possibilité d’une physique de la pure étendue, ce que pensaient déjà Louis Liard et Hamelin. Pourtant ce n’est pas tout : l’A montre ensuite p. 101 que Pascal soupçonne Augustin de « trouver l’image de Dieu en l’homme » par le cogito, et il récuse la Cité de Dieu avec une virulence janséniste.

La première thèse nous apparaît valide sur le principe, quoique de nombreuses nuances religieuses qu’avait marquées Gouhier sont en partie effacées. La seconde thèse est probablement plus originale, bien appuyée sur Nidditch et Coste, c’est-à-dire sur une reconnaissance du réfléchi : le mot self par Locke. D'où l’embarras des traducteurs qui vont chercher le « moi » de Pascal à la rescousse pour fonder l’identité sur l’ipséité. Carraud discute Ricoeur, C. Taylor et Descombes — où la confusion du soi et du moi devient progressivement patente : l’agent humain étant identifié à ses pratiques. On doit dire ici que l’A. a soigneusement révisité les traductions rectifiées de Locke, pour aboutir à ce constat que, à la différence de l’Ego, le moi est introuvable : seul Pascal aurait inversé la question « qu’est-ce que je suis ? » (qui est constitutive de la métaphysique cartésienne), en cette autre : « qu’est-ce que le moi ? » (ce qui expliquerait les emprunts de Coste).

A partir de là et en une dizaine de pages seulement (pp. 115-126), l’A. propose une nouvelle opération de renversement. C'est comme un stress intellectuel qui conduit sa démonstration.

Résumons ce passage. Pascal substantive le moi pour le destituer (« le moi n’est trouvable que dans la dépravation de la volonté », p.116). Mais sans chicaner, il n’est pas non plus avéré, selon nous, que Pascal le substantialise. L’échange des deux termes ne forme pas une désignation suffisante. Dans cette lecture, Carraud en appelle à Husserl comme c’est souvent le cas dans l’Ecole Française : l’ego sum, ego existo est en effet pourfendu par Husserl pour qui Descartes aurait commis la faute la plus lourde ­— celle du réalisme transcendantal. Il lui importe alors de revenir au travail de réduction des cogitationes pour retrouver la subjectivité transcendantale qu'on a perdu, celle qui désubstantialise le moi (p.117). Pascal conteste le moi de Descartes en soutenant que l’on n’aime que les qualités d’une personne, non pas jamais son Moi — mais à la différence de Carraud qui suit très étroitement Marion, nous pensons que ne comptent que les modes de cette substance, identifiée à une âme, et donc désubstanciée aussitôt en tant que substantia cogitans qui ne pourrait pas ne pas être unie au corps. Carraud reconnaît ensuite que la position husserlienne est contredite par les textes : Descartes écarte bien le quid sum ? comme une question essentialiste et il fait consister l’essence dans la liberté, ce qui pose de nouvelles questions sur la relation d’identité entre le sujet et sa nature de sujet libre. Toutefois, il se dégage assez de ce que nous avons dit que cet ouvrage est pleinement instructif, utile et savamment renseigné.

Jean-Maurice Monnoyer





[1] : Carraud ne confond pas le sens de « tenir le milieu » et de « être au milieu ». Il reprend ici une distinction de Martineau entre la situation de l'homme et la position de l'homme face à la nature. Je ne suis pas certain que ce soit là le sens entendu par Descartes qui porte bien sur la fausseté matérielle de l'idée. Pour l'interprétation, Carraud se reporte à la datation de Jean Mesnard (1655), car il suppose un éloignement de la crise dévotionnelle de Pascal, au départ inspiré par l'anéantissement bérullien, et transformé ensuite par le néant de l'ennui qu'il « rapproche » de Heidegger.

[2] : Le plus beau specimen est cet ego ille, quisnam sim : « qui je suis et non pas ce que », qui conduirait à une prédication essentielle ou accidentelle. Le passage du quidnam au quisnam est en effet décisif (ATVII,27-29)

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