Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

vendredi 7 juin 2013

G. E. Moore, The subject-matter of Psychology (1909). Traduction de Bruno Langlet (2013)


Le sujet d’investigation de la psychologie [1]

George Edward Moore

La psychologie, à ce qu’il me semble, a en propre un sujet d’investigation particulier, qu’on pourrait définir en disant qu’il est constitué, parmi les contenus de l’Univers, de la totalité de ceux qui sont « mentaux » ou « psychiques » dans leur nature, et de ceux-là seulement. Et la chose principale que je souhaite faire dans cet exposé est d’examiner, parmi les contenus de l’univers, lesquels sont « mentaux » ou « psychiques » dans leur nature, et comment ils se distinguent de ceux qui ne le sont pas. L’Univers me semble contenir une immense variété d’entités d’espèces différentes. Par exemple : mon esprit, n’importe quelle pensée ou perception mienne,  la qualité qui distingue un acte de volition d’un simple acte de perception, la Bataille de Waterloo, le processus de cuisson, l’année 1908, la lune, le nombre 2, la distance entre Londres et Paris, la relation de similarité – tous sont des contenus de l’Univers, tous sont contenus en lui, ou bien l’ont été. Et je veux demander, à leur propos, lesquels sont parmi eux dans leur nature « mentaux » ou « psychiques », et lesquels ne le sont pas. Pour cela, je souhaite disposer d’un nom commun que je peux appliquer à chacun d’eux sans impliquer rien de plus, en regard de ce à quoi je l’applique, que le simple fait que c’est ou que c’était quelque chose, que c’est ou que c’était un contenu de l’univers. Et je propose d’utiliser le terme dont j’ai déjà fait usage – le mot « entité » – dans ce sens extrêmement large. Lorsque je parle d’une « entité », je ne veux absolument rien impliquer de  plus, au regard de ce que j’appelle ainsi, que c’est ou que c’était – que c’est ou que c’était contenu dans l’Univers, et de quoi que ce soit qui est ou qui fut, je vais prendre la liberté de dire que c’est une « entité ».
Il n’est en aucune manière évident pour moi que toutes les « entités » – tous les contenus de l’Univers – puissent de manière correcte être dits « exister » ou être des « phénomènes », et bien que sans doute, toutes soient (en certains sens de ces termes) des « objets », des « réalités », et des « choses », il y a pourtant d’autres sens à ces termes dans lesquels elles ne sont pas des « objets », des « réalités », des « choses ». C’est pour cette raison que je préfère le mot « entités » à n’importe lequel de ces mots qui, je pense, sont utilisés parfois comme ses équivalents : les mots « existants », « phénomènes », « objets », « réalités », « choses ». Et je peux alors formuler  ainsi la question principale de mon article : quelles sortes d’« entités » sont « mentales » ou « psychiques » ? Et comment celles qui sont « mentales » sont-elles distinguées de celles qui ne le sont pas ? 
Je vais diviser mon traitement de la question en deux parties. En tout premier lieu (1), je vais tenter de classifier ces espèces d’entités qui nous semblent sans aucun doute « mentales », et examiner ce qui les distingue de tous les autres contenus de l’Univers. Puis je vais alors (2) considérer certaines entités, ou ce que l’on suppose être tel, à propos desquelles il me semble douteux  qu’elles soient des entités « mentales », et je vais chercher en quel sens, s’il y en a un, elles pourraient à juste titre être dites telles.


I.  Entités sans aucun doute mentales.

Je souhaite ici définir aussi clairement que je le peux ces espèces d’entités qui me semblent indubitablement mentales, et examiner comment elles diffèrent de celles qui ne le sont pas.
Ainsi, pour commencer : je vois, j’entends, je sens, je goûte, etc. ; je ressens parfois de la douleur, j’observe parfois mes propres actes mentaux, je me souviens parfois des entités que j’ai d’abord vues ou entendues, etc. ; j’imagine et je rêve parfois ; je pense à diverses sortes d’entités ; je crois certaines propositions, et je pense à d’autres sans les croire ; je prends du plaisir lors de certains évènements, et ressens du déplaisir à l’occasion d’autres ; et je décide parfois que certaines actions doivent être faites. Je fais toutes ces choses, et il n’y a rien qui soit plus certain pour moi que je les fasse toutes. Et parce que, dans un sens large, elles sont toutes des choses que je réalise, je propose de les appeler des « actes mentaux ». En les appelant des « actes », je ne souhaite pas impliquer que je suis toujours particulièrement actif lorsque je les réalise. Sans doute dois-je être actif en un sens, à chaque fois que réalise n’importe lequel d’entre eux. Mais certainement suis-je parfois très passif lorsque j’en réalise certains.
Ainsi, je pense que nous pourrions dire qu’à chaque fois que je réalise l’une de ces choses, je suis toujours « conscient de » quelque chose ou d’autre chose. Chacun de ces actes mentaux consiste, au moins en partie, dans le fait que je suis conscient de quelque chose. Je ne veux pas dire que dans le cas de chacun d’entre eux, je suis conscient de quelque chose en un seul et même sens. Par exemple, lorsque je vois réellement une couleur, je suis certainement conscient de cette couleur en un sens très différent de celui dans lequel j’en suis conscient lorsque je m’en souviens une heure et demie après, et que, depuis lors, je ne la vois plus. Et je ne suis pas sûr qu’il y ait quoi que ce soit de commun à ces deux sens de « conscience ». Mais je pense toujours que le nom peut être appliqué correctement à ce qui arrive dans chacun de ces cas, et que de façon similaire, nous sommes, dans un certain sens approprié du terme, conscients de quelque chose lorsque nous réalisons l’un de ces actes. Et je ne sais pas comment expliquer ce que j’entends par « conscience », à moins de dire que chacun de ces actes que j’ai nommés est un acte de conscience. Mais j’espère que c’est une indication suffisante de ce que je veux dire.  Et je pense que c’est au moins suffisant pour nous autoriser à dire avec certitude que certains autres actes, que je n’ai pas nommés, leur ressemblent en tant qu’ils sont des actes de conscience.
« Conscience », pour autant que je sache, peut donc être un nom pour de nombreuses espèces d’entités très différentes. Mais dans tous les cas que j’ai mentionnés ici, il y a, je pense, une chose qui est claire à ce propos : justement que dans tous les cas, il y a toujours une distinction entre ce dont nous sommes conscients et la notre conscience de cela. Je ne veux pas dire que les deux sont toujours « séparables », ni quoi que soit non plus à propos de la relation qu’il y a entre eux ; je veux seulement dire qu’ils sont toujours des entités distinctes : et qu’ils soient ainsi me semble être certain pour la raison suivante. Considérons n’importe lequel des actes mentaux que j’ai mentionnés – par exemple, voir. Il n’y a pour moi rien de plus certain que je vois constamment une couleur à un temps et une couleur différente à un temps différent, et que, bien que les couleurs soient différentes, je suis conscient d’elles exactement dans le même sens. Il suit donc que puisque les couleurs sont différentes dans les deux cas, tandis que ce que je veux dire par ma conscience d’elles est, dans les deux cas, la même chose, ma conscience d’une couleur doit être quelque chose de différent de n’importe laquelle des couleurs dont je suis conscient. Et le même résultat suit, quels que soient les actes mentaux que j’ai nommés que l’on considère. Je suis très certain que je réalise différents actes en différents temps, que je me remémore différents évènements, que je veux différentes actions, et bien que ce dont je me souviens, ce que je veux, etc., puisse être différent dans chaque cas, pourtant ce que je veux dire par «  me souvenant » ou « voulant » peut, dans chaque cas, être exactement la même chose. Il y a donc toujours une distinction entre ce dont je suis conscient et ma conscience de cela. Et la dernière de ces deux entités distinctes est la première espèce d’entité qui me semble sans aucun doute être mentale. A chaque fois que quiconque est conscient de quelque chose dans le ou les sens que j’ai tenté d’indiquer, alors sa conscience, en tant qu’elle est distinguée de ce dont il est question, est indubitablement, je pense, une entité mentale.
« Conscience » est donc sans doute un nom pour une entité mentale ou pour plusieurs espèces différentes d’entités mentales. Tout acte de conscience est une entité mentale. Mais qu’entendons-nous exactement en disant que c’est « mental » ?
La première et importante chose que nous visons par là est tout simplement que c’est un acte de conscience, je pense. « Mental », dans l’un de ses sens,  le plus fondamental, est simplement, je pense, une autre façon de dire que l’entité dite mentale est un acte de conscience. De la sorte, dans ce sens du mot, ce qui distingue les entités mentales de celles qui ne le sont pas serait simplement le fait que les premières sont des actes de conscience, tandis que les secondes n’en sont pas. Et en ce sens, il est très évident que beaucoup d’entités ne sont pas mentales. Une couleur rouge, par exemple, n’est certainement pas un acte de conscience au sens où ma vision en est un.  Elle peut effectivement être (comme certaines personnes semblent le penser) une « apparence » d’un acte de conscience, mais si c’est le cas, l’apparence est certainement très différente de la réalité. Ce sens, dans lequel être une entité mentale est être un acte de conscience, est je pense le sens le plus fondamental du terme « mental » : c’est celui duquel tous les autres sont dérivés. Si nous n’avions pas noté la différence entre les actes de conscience et les entités qui semblent être telles ou bien qui ne le semblent pas, personne n’aurait jamais pensé à diviser les entités entre mentales et non-mentales, ou à parler de « l’esprit » tout court. Mais bien que ce soit le sens le plus fondamental du terme « mental », il y en a certainement d’autres qui en sont dérivés, et qui sont aussi des sens importants pouvant nous autoriser à dire que des entités qui ne sont pas des actes de conscience sont néanmoins mentales. Et je dois poursuivre en parlant de ceux-là.
Le premier concerne une propriété dont on peut concevoir qu’elle appartienne à tous les actes mentaux, en tant que caractéristique supplémentaire, additive au fait qu’ils sont tous des actes de conscience, et qui les distingue des entités qui ne sont pas mentales. Et cette caractéristique est l’une de celles qui, je pense, est souvent signifiée par le mot « mental » ; lorsque l’on dit qu’une entité est « mentale » ou « dans l’esprit », on veut souvent dire, je pense, qu’elle possède cette caractéristique. La caractéristique que j’ai en tête est celle qui est exprimée lorsque l’on dit qu’un acte mental donné est, en regard d’un autre acte mental, un acte de la même personne ou du même esprit. Tous les actes mentaux dont nous sommes certains de l’existence semblent avoir cette caractéristique. Chacun d’eux est l’acte d’un seul esprit et est relié à un certain nombre d’autres actes, par le fait qu’ils sont tous des actes du même esprit. En fait, tous les actes mentaux que nous connaissons le mieux semblent se diviser en groupes, avec cette caractéristique, pour chaque groupe, que tous ses membres sont les actes d’un même esprit. Ainsi, par exemple, dans l’Univers, un certain nombre d’actes mentaux ont été les miens, un certain nombre ont été ceux du Roi Edouard VII, et ainsi de suite pour des millions d’autres exemples. Que beaucoup d’actes mentaux possèdent cette caractéristique et qu’elle soit l’une des plus importantes me semble être aussi certain que possible. Ainsi, par exemple, je suis plutôt certain qu’un nombre relatif d’actes mentaux ont réellement été « mes » actes mentaux, que ce que j’entends en disant qu’ils sont tous « miens » est une de leurs caractéristiques les plus importantes, et qu’elle les différencie des actes mentaux des autres personnes. Chacun de nous suppose constamment que c’est ainsi, et aucun philosophe n’a, je pense, jamais réussi à éviter l’implication qu’il en va de la sorte. Le langage que nous utilisons constamment implique qu’un rapport sous lequel deux actes mentaux peuvent différer l’un de l’autre vient du fait que l’un est l’acte mental d’une personne, et l’autre celui d’une autre personne ; et qu’un rapport sous lequel deux actes mentaux peuvent se ressembler l’un à l’autre vient du fait que tous deux sont les actes mentaux d’une même personne. Et que quelque chose d’important soit entendu par là me semble très certain. S’agissant de ce qui est exactement entendu, j’avoue ne pas en être certain, et je vais ici devoir dire ce que je peux à ce propos. Pour l’instant, je souhaite juste souligner que quelque chose de vrai est signifié lorsqu’il est dit que deux actes mentaux sont ceux de la même personne, par exemple qu’il y a un certain sens dans lequel mes actes mentaux sont tous les miens. Et à partir de là, s’il est affirmé que c’est une caractéristique de tous les actes mentaux que d’être les actes mentaux d’une personne ou d’une autre – d’appartenir à quelque esprit, quoique ceux qui sont différents appartiennent à différents esprits – ces mots exprimeraient une caractéristique qui pourrait appartenir à tous les actes mentaux et qui, si c’est le cas, serait une caractéristique en addition et distincte de celle disant qu’ils sont tous des actes de conscience. C’est une caractéristique, me semble-t-il, qui est fréquemment signifiée lorsque l’on dit d’une entité donnée qu’elle est « mentale » ou « dans l’esprit » : il est signifié que l’entité en question est reliée à quelque esprit de la même manière que ses actes mentaux le lui sont – par cette relation qui se trouve exprimée lorsque l’on dit qu’ils sont tous les siens. Et si cela est utilisé en tant que critère positif  de ce qui est mental, je ne peux trouver aucune objection à cela. Ce qui veut dire que si l’on dit que toute entité ayant cette relation à n’importe quelle personne ou esprit est « mentale », je serais préparé à l’admettre. Il me semble, par exemple, que si une entité quelconque était reliée, à mon esprit ou à moi-même, juste de la façon dont mes actes mentaux me sont reliés, nous pourrions à juste titre dire qu’une telle entité était « mentale » et qu’elle était « dans mon esprit », dans le même sens que celui où mes actes mentaux sont « dans mon esprit ». Que de quelconques entités, à l’exception des actes mentaux, soient ou puissent être en relation avec moi de la sorte, c’est une question que je vais examiner maintenant. Mais si certaines sont reliées à n’importe quel esprit de cette façon, alors je devrais dire que nous pouvons à juste titre les appeler « mentales ». A partir de là, de ce fait, nous disposons d’un sens du mot « mental » qui pourrait éventuellement inclure d’autres entités en plus des actes de conscience. Mais si cette caractéristique est aussi proposée comme critère négatif de ce qui est « mental » – si, à côté du discours pour lequel tout ce qui possède celle-ci est « mental » il est aussi dit que rien n’est tel sans la posséder – alors l’assertion me semble être très douteuse. Car il me semble possible qu’il puisse y avoir des actes de conscience qui ne sont pas les actes d’un quelconque esprit – qui ne sont pas reliés à d’autres actes quelconques de la manière particulière par laquelle les actes mentaux d’une quelconque personne sont reliés les uns aux autres. Qu’il puisse y avoir des actes mentaux, d’une certaine manière, en isolation, me semble possible, et s’il y en avait, alors ils seraient certainement des entités « mentales », simplement parce qu’ils seraient des actes de conscience. Qu’il y en ait le moindre de cette sorte, je n’en suis pas sûr du tout, mais la simple possibilité qu’ils soient me semble être une objection suffisante contre le propos disant que rien ne peut être « mental », à l’exception de ce qui appartient à un esprit, au sens où mes actes mentaux appartiennent au mien.
La seconde caractéristique que je souhaiterais mentionner est une caractéristique dont on ne peut pas dire, je pense, qu’elle corresponde à un « sens » du terme « mental », mais qui peut être un critère – et qui a été proposée comme telle – de ce qui est « mental », et qui est certainement très importante. Il a été suggéré, précisément, que toute entité qui peut être directement connue par un esprit seulement est une entité mentale, et qu’elle est « dans l’esprit » de la personne en question, et aussi, de manière converse, que toutes les entités mentales peuvent être connues de façon directe par un esprit unique seulement. Par « connaissance directe », il est ici entendu la sorte de relation que nous avons avec une couleur lorsque nous la voyons actuellement, ou bien à un son lorsque nous l’entendons actuellement. Et la suggestion disant que toutes les entités mentales ont la caractéristique de pouvoir être directement connues, en ce sens, par un esprit unique seulement, est je pense certainement plausible, pour la raison suivante.  C’est certainement une différence très remarquable entre mes propres actes mentaux et ceux des autres personnes que les miens propres soient les seuls que je connaisse jamais directement. Je n’ai certainement jamais été conscient des pensées, sentiments ou perceptions de qui que ce soit d’autre, de cette manière directe par laquelle je suis conscient d’une couleur lorsque j’en vois une ; mais je suis conscient de mes propres actes mentaux de cette façon. Je suis bien sûr conscient, d’une certaine manière, des actes mentaux des autres personnes, j’ai une connaissance de certains d’entre eux, en un sens très réel, et j’en sais beaucoup à leur sujet, mais je ne suis certainement jamais directement conscient d’eux, je ne les connais pas directement, au sens où je connais souvent les miens. C’est, je pense, une distinction sûrement très remarquable entre mes actes mentaux et ceux des autres. Et la règle semble être pratiquement universelle : il semble être presque universellement vrai que chacun de nous peut connaître de manière directe ses propres actes mentaux seulement – jamais ceux d’une autre personne. Par exemple, je ne connais personne, à l’exception de moi-même, qui ait directement connu le moindre de mes actes mentaux. Il y a donc une plausibilité dans la suggestion que cela pourrait être une caractéristique universelle des actes mentaux : elle fait certainement partie de toutes celles que nous connaissons le mieux et à propos desquelles nous en savons le plus. Mais je pense pourtant qu’il est douteux qu’elle appartienne à tous les actes mentaux. Il semble ne pas y avoir de raison faisant qu’elle le devrait : il n’y a pas de raison qu’une personne ne puisse jamais être en capacité de connaître directement les actes mentaux d’une quelconque autre personne ; au mieux, cela semble seulement être un fait que personne ne le fasse jamais. Et de plus, il semble y avoir un certain nombre d’indications que dans certains cas très rares, cela arrive. La « Sally » du Dr. Morton Prince semble avoir affirmé qu’elle connaissait directement certains actes mentaux de B.I. ; et si nous admettons son affirmation et aussi que Sally était une personne différente de B.I. (et pour cela aussi il y aurait beaucoup à dire), ceci serait un exemple de connaissance directe, par une personne, des actes mentaux d’une autre. De ce fait, Je pense qu’il est douteux que pouvoir être directement connus par un esprit seulement soit réellement une caractéristique de tous les actes mentaux. Et en ce qui concerne la proposition converse – la proposition disant que n’importe quelle entité pouvant être directement connue par une personne doit être mentale seulement, et qu’elle doit être « dans » « l’esprit » de cette personne, elle me semble même plus douteuse. Même s’il était vrai que toutes les entités indubitablement mentales ne peuvent être connues que par une seule personne, c’est-à-dire la personne « dans » « l’esprit » de qui elles sont, il ne semblerait pas y avoir la moindre raison pour que certaines entités non-mentales ne possèdent pas cette caractéristique. Et si on suppose que, exception faite des actes mentaux, de quelconques entités possèdent cette caractéristique, je pense que nous aurions certainement besoin de preuves autres et indépendantes qu’elles sont « mentales » pour être autorisés à les appeler ainsi. Sur cette base seulement, nous ne le serions certainement pas.
Jusqu’ici, mes conclusions ont été les suivantes : je suis parti des actes mentaux – les actes de conscience – comme d’indubitables entités mentales. Et j’ai considéré trois caractéristiques, dont on pourrait affirmer qu’elles les distinguent des entités qui ne sont pas mentales. La première était le simple fait qu’ils étaient des actes de conscience, et c’est une caractéristique qu’ils possèdent bien sûr tous ex hypothesi, mais aussi qu’aucune entité ne peut posséder si ce n’est un acte de conscience ex hypothesi. Ceci, ai-je dit, me semblait être le sens le plus fondamental du terme « mental », mais j’ai admis qu’il y en avait d’autres. La seconde caractéristique était celle semblant appartenir à la plupart des actes mentaux, c’est-à-dire celle d’être tous les actes mentaux d’une même personne ou d’une autre – ils appartiennent tous au même esprit, et j’ai admis que toute entité qui appartenait à un esprit, au sens particulier où mes actes mentaux font partie du mien, était mentale. J’ai admis cela, donc, en tant que second sens de « mental » ; mais j’ai fait remarquer que, possiblement, certains actes mentaux n’étaient pas mentaux en ce sens – qu’ils n’étaient pas les actes de qui que ce soit : de telle sorte qu’il pourrait y avoir des entités qui sont indubitablement « mentales » dans le premier sens fondamental, sans pourtant l’être dans le second. La troisième caractéristique semblait appartenir à la plupart des actes mentaux et, peut-être, à tous, en l’occurrence celle de pouvoir être directement connus par une personne seulement. Mais dans le cas de cette caractéristique, j’ai mis en avant qu’il semblait n’y avoir aucune raison faisant qu’elle devrait appartenir à tous les actes mentaux – aucune raison pour laquelle une personne ne pourrait être parfois en capacité de connaître directement les actes mentaux d’une autre personne ; et aussi qu’il y a beaucoup d’indications pour croire que cela arrive parfois. Et à propos de l’affirmation disant que toute entité qui possède cette caractéristique est « mentale », j’ai fait remarquer que si cela est vrai, nous devons certainement avoir d’autres raisons pour dire que la totalité de ces entités sont mentales, en addition du simple fait qu’elles possèdent cette caractéristique. A elle seule, cette caractéristique ne nous autoriserait pas à les appeler ainsi ; car ce n’est certainement pas une des caractéristiques que nous entendons par « mental » même si elle se révélait être un critère de ce qui est mental.
J’ai donc jusqu’ici reconnu deux sens différents de « mental », et une seule sorte d’entités – c’est-à-dire, les actes de conscience – qui sont sans aucun doute mentales. Tous les actes de conscience sont mentaux dans le premier sens, et rien d’autre ne peut l’être. Tandis que dans le second sens, il n’est pas vraiment certain que tous les actes de conscience le soient ; et il est aussi abstraitement possible que certaines entités, qui ne sont pas des actes de conscience, le soient.
Mais je dois maintenant reconnaître deux autres sortes d’entités qui me semblent indubitablement mentales, ainsi que deux nouveaux sens de « mental » qui leur correspondent.
La première sorte d’entité se présente comme il suit : -
Différents actes de conscience peuvent différer les uns des autres sous de nombreux rapports. Et certaines des différences qui se trouvent entre eux me semblent être indubitablement des différences mentales. Ces différences, que j’appelle des différences mentales, sont la deuxième sorte d’entité que je reconnaisse être indubitablement mentale.  Mais afin de rendre évident quelle sorte d’entités elles sont, je dois les placer en contraste avec deux autres sortes de différences qui sont, ou qui pourraient se trouver, entre des actes mentaux différents. La première sorte est une sorte de différence qu’il y a sans aucun doute entre des actes mentaux différents, et les actes mentaux diffèrent beaucoup plus entre eux sous ce rapport que sous aucun autre, mais elle ne me semble pas être une différence « mentale ». La seconde sorte est une sorte qui pourrait être aussi universelle que la première, mais dans ce cas, je ne suis pas certain que de quelconques actes mentaux diffèrent en effet à ce regard. Il reste, comme troisième sorte, la sorte de différence qui me semble être une entité mentale indubitable : certains actes mentaux différent en effet entre eux selon cette troisième manière, et aussi la différence est sans aucun doute une différence mentale.  
La première sorte de différence est celle qui consiste simplement dans le fait qu’un acte de conscience est une conscience d’une entité, tandis qu’un autre acte de conscience est une conscience d’une entité différente. Par exemple, lorsque je vois une couleur bleue, je suis conscient d’une entité différente de celle dont je suis conscient lorsque j’en vois une rouge. Et ma vision du rouge diffère certainement de ma vision du bleu, en regard du fait que l’une est une conscience du rouge tandis que l’autre est une conscience du bleu : le simple fait que l’une soit à propos du rouge et l’autre à propos du bleu est une différence entre elles. Ainsi, de même lorsque je me rappelle la cathédrale de Crystal Palace et celle de St Paul, il y a une différence similaire entre les deux actes de remémoration : l’un est une conscience de la cathédrale de Crystal Palace et l’autre de celle de St Paul, et les deux actes diffèrent certainement au regard du fait que l’un est à propos d’une entité et le second à propos d’une autre, qu’ils différent aussi sous d’autres rapports ou non. Il n’y a pas de sorte de différence plus universelle que cela. Chacun d’entre nous, durant sa vie, est conscient d’un million d’entités différentes, et notre conscience de chacune d’elles diffère de notre conscience de la totalité restante, en regard du fait qu’il y a une conscience de l’entité de laquelle elle est une conscience, et non pas d’une autre entité différente. Mais cette sorte de différence ne me semble pas être elle-même une différence mentale. J’avoue ne pas pouvoir dire pourquoi. C’est certainement une sorte de différence qui peut seulement se trouver (obtain) entre des actes mentaux : car rien, si ce n’est un acte mental, ne peut différer d’autre chose du fait qu’il est une conscience d’une entité et l’autre une conscience d’une autre entité. Mais cela ne me semble néanmoins pas être une différence mentale, et bien que je ne puisse pas dire pourquoi, je peux illustrer, grâce à des exemples analogiques, le genre de raison faisant que je pense ainsi. Par exemple, une zone dans l’espace peut être occupée par une espèce d’objet, et une autre zone par une autre espèce, et ces deux zones différeront parce que l’une est occupée par l’un des objets, et la seconde par l’autre. Pourtant nous ne dirions pas que cette différence entre eux est une différence spatiale, bien qu’il s’agisse d’une différence entre des entités spatiales, et d’une sorte de différence qui peut se trouver (obtain) seulement entre des entités spatiales, car rien, si ce n’est une entité spatiale, ne peut être « occupée par » quoi que ce soit au sens où une zone spatiale est occupée par un objet qui se trouve dans la zone. Ou encore, un événement physique –  par exemple un arrangement spécifique de particules dans une partie du cerveau – peut différer d’un autre objet physique, du fait que l’un est une condition nécessaire pour un acte mental d’une espèce, et le second une condition nécessaire pour un acte mental d’une autre espèce, et pourtant nous ne dirions pas que cette différence est elle-même une différence physique entre les deux. Il me semble qu’il y a, pour des raisons similaires, une objection contre le propos disant que la différence entre deux actes mentaux, consistant simplement dans le fait que l’un est une conscience d’une entité, et que le second l’est d’une autre, est elle-même une différence mentale.
Mais la seconde sorte de différence qu’il pourrait y avoir entre deux actes mentaux serait, s’il y avait une telle différence, sans aucun doute une différence mentale. Je ne suis juste pas certain qu’il y ait la moindre différence de cette sorte, et de ce fait je ne peux la prendre en compte parmi les entités indubitablement mentales. Je vais ici la discuter parmi les cas douteux d’entités mentales. Il semble précisément que certains philosophes soutiennent qu’un acte mental quelconque, qui diffère d’un autre, du fait que l’un est la conscience d’une entité, tandis que l’autre est la conscience d’une entité différente, doit toujours – et le fait – en différer aussi sous un autre rapport – un rapport interne : de telle sorte que là où il y a toujours cette différence de relation consistant dans le fait que deux actes mentaux ont des objets différents, il doit aussi y avoir entre les deux quelque autre différence qualitative – en plus de la différence d’objets, une différence de « contenu » aussi. S’il y avait une différence telle que celle-ci entre des actes mentaux, je dirais qu’elle serait certainement une différence mentale. Mais je ne suis pas certain qu’il y en ait de telle. Je ne suis pas certain que quel que soit le cas, deux actes mentaux différant du fait que l’un est une conscience d’une entité et le second une conscience d’une autre, aient pour cette raison besoin de différer de façon interne, ou qualitativement, sous le moindre rapport.
Cependant, il me semble très assuré que certains actes mentaux différent d’autres de manière interne, ou qualitativement, et que les différences de cette troisième classe sont indubitablement mentales. Je disais, au début, que tout acte mental consiste au moins en partie dans le fait d’être conscient de quelque chose. Mais certains d’entre eux, je pense, consistent de façon évidente aussi en autre chose. Je pense parfois simplement à une proposition donnée, et ainsi, me semble-t-il, je suis simplement conscient de celle-ci ; mais je crois parfois en elle, et ainsi, en plus d’être conscient d’elle, je le suis d’une manière particulière – ma conscience de celle-ci a une qualité qui me semble être indubitablement mentale, qui différencie un acte de croyance d’un simple acte de conscience. Ainsi, de même, je pense parfois simplement à une action future ; mais parfois, je veux cette action : et ici de nouveau il me semble y avoir une réelle différence mentale entre les deux cas. Je devrais ainsi dire que la qualité qui distingue un acte de volonté de ce qui n’est pas un acte de volonté, ou bien un acte de croyance de ce qui n’en est pas un, est indubitablement une entité mentale. Et il y a, je pense, un nombre limité (quoi qu’il soit encore vaste) d’autres entités mentales de cette sorte : par exemple, ce qui distingue le plaisir envers un objet de l’appréhension de celui-ci sans plaisir, ce qui distingue le désir envers un objet de sa simple appréhension sans désir, ce qui distingue l’aversion envers un objet de son appréhension sans aversion, etc. De telles différences entre des actes mentaux me semblent certainement différer, dans leur nature, de ma première sorte de différences – celles qui consistaient simplement dans le fait que tandis qu’un acte mental était une conscience d’une sorte d’objet, un second était une conscience d’une autre. D’une part, il me semble que même lorsqu’il n’y a pas de différence dans l’objet, il peut y avoir une différence dans le mode de conscience : par exemple, que je peux appréhender à un moment une seule et même proposition sans y croire, et à un autre moment y croire. Et ces différences, que je peux appeler des différences dans le mode de conscience, me semblent aussi différer de la seconde sorte de différences que j’ai mentionnées, en regard du fait que tandis que celles-ci étaient supposées être des différences internes correspondant à une différence d’objet, celles-là n’ont pas de telles correspondances : je peux être conscient de deux différents objets de la même façon, et d’un même objet à des moments différents et de différentes façons. De plus, tandis que je ne peux pas être certain qu’il y ait de quelconques différences internes correspondant à une différence d’objets, je suis certain qu’il y a des différences dans le mode de conscience. Je suis plutôt certain qu’il y a une différence interne entre vouloir une action et simplement y penser, entre aimer un objet et simplement le voir : mais je ne suis pas certain qu’il y ait une différence interne entre voir une couleur rouge et voir une couleur bleue, ou entre voir une couleur et entendre un son.
Ainsi, je reconnais comme une seconde sorte d’entités indubitablement mentales les qualités qui distinguent un mode de conscience d’un autre. Et ces qualités, me semble-t-il, sont « mentales » dans un certain nouveau sens. Elles ne sont pas elles-mêmes des actes de conscience mais elles en sont, en un certain sens, des qualités. En quel sens exactement, je ne peux le découvrir. Il me semble évident de dire qu’elles sont mentales, car elles sont des qualités qui peuvent seulement appartenir à des actes de conscience : rien si ce n’est un acte de conscience ne peut avoir la qualité d’être une volition ou d’être une croyance. Mais alors il est aussi vrai que rien d’autre qu’un acte de conscience ne peut être une conscience de bleu ou une conscience de rouge. Et de quelle manière une telle propriété, que j’appelle « propriété », diffère de ces autres propriétés que j’appelle « qualités », je ne peux le définir. Supposant, toutefois, que la différence est comprise, nous pouvons je pense dire qu’être « mental », en ce troisième sens, signifie être une « qualité » (en tant que distinguée d’une « propriété ») pouvant seulement appartenir à un acte de conscience.
Finalement, une troisième espèce d’entité, qui me semble indubitablement mentale, peut être définie comme il suit.  Un certain nombre d’actes mentaux peuvent être reliés les uns aux autres, dans l’une ou  l’autre des cent manières différentes qui peuvent être exprimées lorsque l’on dit qu’elles forment une « unité ». Et toute collection d’actes mentaux qui, en un sens quelconque, forme une « unité », peut elle-même être dite une « entité mentale ». Par exemple, un processus de raisonnement n’est pas lui-même un « acte mental », il consiste en un certain nombre de différents actes mentaux, combinés entre eux de quelque façon particulière, et cependant il s’agit sans aucun doute d’une « entité mentale ». N’importe laquelle des collections d’actes mentaux de cette sorte est, ainsi, une entité mentale, et est ainsi au sens où il s’agit d’une collection d’actes mentaux qui a une certaine espèce d’unité. Ici, donc, il y a un quatrième sens de « mental » ; précisément, le fait d’être une collection d’actes de conscience en tant que distingué du fait d’être un acte unique (single) de conscience.
Je reconnais donc trois espèces d’entités indubitablement mentales : (1) Un acte de conscience ; (2) certaines « qualités » d’actes de conscience ; (3) toute collection d’actes de conscience qui a une quelconque sorte d’« unité ». Et je ne peux être certain qu’il y ait dans l’Univers les moindres entités méritant d’être appelées « mentales » exception faite de celles-ci. Elles sont séparées de toutes les autres entités, me semble-t-il, par des lignes de division très nettes (sharp) et très importantes. Et la certitude qu’elles sont, et qu’elles sont « mentales », me semble beaucoup plus grande que dans le cas de tout autre sorte d’entités qui sont parfois dites être telles.


II. Entités mentales douteuses

Sous ce chapitre, je veux examiner deux espèces de cas : en premier lieu, les cas précisément où l’on peut supposer une entité qui, s’il y en avait une quelconque qui fût telle, serait sans aucun doute mentale, mais où il me semble douteux que la moindre soit véritablement, telle qu’on la suppose ; et deuxièmement, des cas d’entités qui sans aucun doute sont, et que certaines personnes appellent « mentales », mais dont il me semble douteux qu’elles le soient.
(1) La première entité que je souhaite prendre en considération est l’esprit lui-même. On pourrait penser que si une entité quelconque mérite d’être dite « mentale », l’esprit lui-même le mérite assurément, et que, loin d’être compté parmi les entités mentales douteuses, il doit être considéré comme cas le plus clair d’entité mentale, et le moins sujet au doute. Et en fait, je ne doute pas que l’esprit soit une entité mentale. Par exemple, je ne doute pas avoir un esprit, ni qu’il y ait une chose telle que mon esprit, ni que ce soit une entité mentale. Mais tout ce que je veux dire lorsque je dis cela est que je suis plutôt certain, quand je parle de « mon esprit », ou que d’autres personnes le font, que nous parlons de quelque chose qui véritablement est, qui est mental, et que « mon esprit » est le nom d’une entité et que celle-ci est mentale. Ce à propos de quoi j’ai des doutes, dans le cas de mon esprit, est la sorte d’entité qu’il est : en particulier s’il s’agit d’une entité du type de celles que j’ai déjà décrites, ou bien s’il est une nouvelle sorte d’entité différente de chacune de celles-ci, et qui est aussi « mentale » en un sens différent de celui dans lequel l’est chacune d’elles.
Il y a une conception (et je crois que Hume l’a soutenue, pour ma part) selon laquelle mon esprit consiste simplement dans la somme de tous ces actes mentaux, qui sont reliés les uns aux autres, de la manière que nous décrivons lorsque nous les appelons « miens », ceci incluant bien sûr toute entité (s’il s’en trouve aucune) qui, en plus des actes mentaux, peut leur être reliée de la même manière qu’ils sont reliés les uns aux autres. Et je ne peux pas être sûr que cette conception ne soit pas vraie. En fait, je suis beaucoup plus certain qu’il y a des choses telles que mes actes mentaux, que je ne le suis de la moindre entité distincte de ceux-ci, qui pourrait être appelée mon esprit. Et si la conception était vraie, si mon esprit consiste seulement en la somme de mes actes mentaux, elle serait simplement, bien sûr, un exemple de la troisième sorte d’entité que j’ai reconnue comme indubitablement mentale : elle serait une collection d’actes de conscience ayant une certaine espèce d’unité.
Je dois mettre en avant, à l’appui de cette conception, la difficulté que j’ai eu à découvrir une quelconque autre entité que mes actes mentaux et qui pourrait être mon esprit. Et, aussi, elle seule me semble conférer un sens authentique à la phrase que nous sommes tentés d’utiliser, lorsque nous disons que telle ou telle entité, ou  bien, que tel ou tel acte mental, par exemple, est « dans l’esprit ». Si mon esprit est simplement la collection de tous mes actes mentaux (et d’autres entités, peut-être), chacun d’eux pourrait à juste titre être dit « dans » lui, au sens où il en serait un parmi la collection. Tandis que dans toute autre conception, je ne vois pas comment le moindre acte mental, ou quoi que ce soit d’autre, pourrait être dit « dans » l’esprit.
Mais, de l’autre côté, il me semble y avoir certains arguments contre cette conception. Nous nous exprimons aussi, certainement, comme si c’était mon esprit qui entendait, mon esprit qui pensait, mon esprit qui voulait ; comme si, pour le dire brièvement, mon esprit était une certaine entité dont mes actes mentaux sont les actes ; comme s’il était identique à l’Ego, le « moi-même » (the me), le sujet qui est conscient où et quand je suis conscient. Et quoique l’on puisse conférer un sens à ces expressions, dans la conception de l’esprit de Hume, il ne me semble pas que ce sens soit celui qui est en réalité le leur. Selon la conception de Hume, donc, nous devrions avoir à soutenir, lorsque je dis que Je suis en train de voir ce papier ou de penser à ces pensées – ou bien que mon esprit l’est –, que ce que je veux dire est simplement que ma vision ou ma pensée sont, pour chacune d’elles, un acte parmi les actes mentaux qui constituent mon esprit ou moi-même. Et il ne me semble pas que ce soit ce que je veux dire. Il me semble que lorsque je dis que Je vois cette pièce maintenant, et que j’en ai vu une autre hier (et je suis certain que je suis vraiment en train de le faire, et que j’étais vraiment en train de le faire), j’entends asserter une sorte de relation, entre moi et mon acte de vision, très différente de celle où celui-ci est une partie de moi – un membre d’une collection d’actes qui me constitue.
De plus, dans la conception de Hume, la difficulté demeure de dire quelle est la sorte de relation que mes actes mentaux ont les uns avec les autres, qui les constitue comme « miens ». Que très certainement ils aient une relation les uns aux autres, que l’on exprime en disant qu’ils sont tous « miens », je l’ai déjà mis en avant ; une relation qui les distingue des actes mentaux des autres gens. Et, si nous considérons ce que cette relation peut être, cette considération aussi me semble faire signe vers la fausseté de la conception de Hume. Ce qu’il me semble savoir lorsque je sais que tous mes actes mentaux sont les miens, est qu’ils ont tous une relation particulière avec quelque autre entité qui est moi-même. Il me semble savoir que leur relation les uns aux autres consiste dans le fait qu’ils ont la même relation à cette autre entité : il ne me semble pas être directement conscient d’une quelconque autre relation qu’ils ont tous les uns aux autres.
Je pense donc qu’il y a quelque chose à dire pour la conception selon laquelle je suis une entité, distincte de chacun de mes actes mentaux et de tous ceux-là pris ensemble : une entité dont ils sont les actes, qui est ce qui est conscient lorsque je suis conscient ; et ce que j’entends, lorsque je les appelle les « miens », est qu’ils sont tous les actes de cette même entité. Mais même si je suis une telle entité, il ne suit pas qu’elle soit une entité mentale. Il y a toujours une autre hypothèse contre laquelle je ne peux trouver d’arguments décisifs : en l’occurrence que cette entité qui entend, voit, sent et pense, soit quelque partie de mon corps. Je ne peux rien voir de décisif contre la thèse de Locke disant que la matière pourrait être capable d’être consciente : et par conséquent que cela puisse être mon corps qui soit conscient chaque fois que je suis conscient. S’il en allait ainsi, je devrais dire que nous ne pouvons identifier « mon esprit » et moi-même. Je ne devrais pas être une entité mentale moi-même : je devrais être mon corps. Tandis que tout ce qui à juste titre peut être appelé « mon esprit » doit, je pense, être autorisé à être « mental ». Mais nous pourrions combiner cela avec la conception de Hume disant que « mon esprit » était la collection de mes actes mentaux, et que ce qui, de tous, les faisait « miens », n’était pas une relation directe qu’ils entretiendraient les uns avec les autres, mais le fait qu’ils aient tous une relation commune à mon corps.
Ainsi, La conception selon laquelle « mon esprit » est une entité mentale, distincte de chacun de mes actes mentaux et de leur ensemble, me semble juste en être une parmi plusieurs possibilités alternatives, contre lesquelles je n’ai jamais vu d’arguments décisifs ou pu en trouver. Mais il me semble qu’il y a une alternative possible, et si elle se trouvait être vraie, nous devrions admettre qu’il y a une autre entité mentale, distincte de toutes celles que j’ai reconnues jusque ici, et « mentale » dans un sens différent de chacune d’elles. Tout esprit serait alors une entité d’une nouvelle sorte, et il serait mental au sens où il est quelque chose, non pas le corps, dont certains actes sont les actes –  où il est ce qui est conscient partout où qui que ce soit est conscient.
(2) La seconde hypothèse que je voudrais examiner est celle, mentionnée plus tôt, selon laquelle deux actes mentaux quelconques qui diffèrent du fait que, tandis que l’un est une conscience d’une entité, l’autre est une conscience d’une autre entité, différent aussi à un autre regard – ils possèdent une différence mentale, une différence interne, une différence de « qualité » ou de « contenu ». S’il en allait ainsi, la qualité qui différenciait l’un de l’autre serait indubitablement une entité mentale, et cela dans le même sens que celui dans lequel la qualité qui différencie la croyance ou la volition de la simple appréhension est une entité mentale.
Ici, de même, il me semble qu’il y a des arguments des deux côtés. Du côté négatif – en faveur de la conception disant qu’il n’y a pas de telles entités –  il me semble y avoir le fait que je suis plutôt incapable, par introspection, de découvrir la moindre de ces entités. Lorsque je considère ce qui se passe lorsque je vois une couleur bleue, ou une couleur rouge, ou que j’entends un son, je suis plutôt incapable de découvrir la moindre différence entre ces trois cas, avec cette exception que dans un cas, ce dont je suis conscient est le bleu, dans l’autre le rouge, dans le troisième un son au lieu d’une couleur. Ma conscience de tous les trois me semble exactement la même en nature. Et donc, aussi, lorsque je pense à la Cathédrale de St. Paul, ou à celle de Crystal Palace, tout ce dont je suis capable d’être certain est que, pour ces deux cas, ma conscience possède une différence supplémentaire – une différence de qualité.
Mais de l’autre côté aussi, il me semble qu’il y ait quelque évidence.  L’argument qui m’attire, de ce côté, est celui tiré de la connexion causale entre les actes mentaux. Rien ne me semble plus certain que le fait que ma conscience d’un objet puisse (en un sens) recevoir différents effets de la conscience d’un autre objet, même lorsque je ne peux découvrir aucune différence entre les deux, hormis que l’une est une conscience d’un objet, et l’autre d’un objet différent. Par exemple, je suis plutôt certain que la vision d’un objet cause ma remémoration de certaines sortes de choses, tandis que la vision d’un autre objet cause ma remémoration de choses différentes. Mais comment, pouvons-nous dire, cela se peut-il, si la conscience d’un objet ne diffère pas entièrement en qualité de celle de l’autre ? A cela, on pourrait tenter de répondre en disant que ce sont les différents objets, et non pas ma conscience de ceux-ci, qui produisent les différents effets. Mais il me semble assez certain que ce n’est pas toujours, si ça l’est jamais, le cas. Ce qui produit l’effet est quelque chose qui existe maintenant, et l’objet n’existe en aucune manière lorsque je pense à lui. Par exemple, s’il se trouve que je pense à la Bataille de Waterloo, cette pensée peut m’amener à avoir d’autres pensées que je n’aurais pas eues si je n’avais pas pensé à la Bataille ; mais c’est (en un certain sens) ma pensée, qui existe maintenant, qui cause ces autres pensées, non pas la bataille elle-même, qui n’existe pas maintenant. Je pense, ainsi, que ce ne peut pas être les différents objets qui produisent les différents effets, et par là il me semble y avoir quelque force dans l’argument disant qu’il doit y avoir quelque différence interne dans ma conscience de l’un et de l’autre, quoique je ne puisse en découvrir aucune. Cependant il me semble y avoir une alternative possible : c’est-à-dire, que dans chacun des cas, ce n’est ni ma conscience de l’objet ni l’objet lui-même qui produit l’effet, mais le fait intégral – le fait que je sois conscient de l’objet. Ce fait – le fait intégral – est certainement, me semble-t-il, une entité différente à la fois de l’objet et de ma conscience de celui-ci, si nous entendons par le dernier ce que j’ai jusqu’ici entendu – précisément, ce qui reste lorsque nous soustrayons l’objet du fait intégral. Et le fait intégral – le fait que je sois conscient d’un objet – est certainement toujours différent du fait que je sois conscient d’un autre objet, quoique ma conscience de l’un puisse être exactement similaire, de manière interne, de ma conscience de l’autre. Mais je n’ai pas la certitude que cette hypothèse écarte la difficulté, et ainsi, je considère les possibles différences qualitatives entre les actes mentaux, correspondant à chaque différence dans leurs objets, comme de possibles entités mentales.
(3) La troisième question que je souhaiterais examiner est une question qui a été discutée longuement dans les deux dernières conférences de la dernière session, par le Dr. Wolf et le Professeur Stout. Elle concerne ces entités qui sont souvent appelées « sensations » ou « présentations des sens », mais que j’appelle préférentiellement des « sense-data ». Par sense-data, j’entends une classe d’entités dont nous sommes très souvent directement conscients, et avec un grand nombre desquelles nous sommes très familiers. Elles incluent les couleurs, de toutes sortes de nuances, que je vois actuellement lorsque je me regarde, les sons que j’entends actuellement, la sorte particulière d’entité dont je suis directement conscient lorsque je ressens la douleur d’un mal de dents, et que j’appelle la « douleur », et beaucoup d’autres que je n’ai pas besoin d’énumérer. Mais je voudrais aussi inclure parmi elles ces entités nommées « images », dont je suis directement conscient lorsque je rêve, et souvent aussi lorsque je suis éveillé, qui ressemblent aux premières en regard du fait qu’elles sont des couleurs, des sons, etc., mais qui semblent, en règle générale, plutôt comme des copies vagues de couleurs, sons, etc., actuellement vues ou entendues, et, qu’elles soient plus vagues ou non, en diffèrent du fait que nous ne devrions pas dire que nous les voyons ou les entendons actuellement, et du fait qu’elles ne sont pas, au sens le plus strict du mot, « données par les sens ». Toutes ces entités, je propose de les nommer des sense-data. Et dans leur cas, la question de savoir s’il y a de telles entités ne se pose pas. Les entités visées sont certainement, qu’elles soient ou non correctement décrites en tant que « sensations », « présentations des sens », « sense-data », etc. Ici ce que l’on peut seulement demander est si elles sont « mentales ». Et, en fait, beaucoup de philosophes semblent avoir soutenu qu’elles le sont. Le Professeur Stout, par exemple, soutient qu’elles le sont toutes ; le Dr.  Wolf, certaines seulement, précisément les « images » mais pas le reste. Je veux rapidement examiner en quel sens, s’il y en a un, ces entités pourraient être « mentales ».
Mais il est nécessaire de distinguer deux questions. Nous sommes certainement conscients directement de certaines de ces entités. Mais le Professeur Stout soutient – et je crois bien que d’autres seraient d’accord avec lui – qu’elles existent souvent dans l’esprit, même lorsque nous ne sommes pas conscients d’elles.  Je souhaiterai, par conséquent, distinguer les deux questions – (a) en quel sens ces sense-data dont nous sommes conscients peuvent être mentaux, et (b) en quel sens, s’il s’en trouve un au moins, celles-ci, que l’on suppose être dans l’esprit lorsque nous ne sommes pas directement conscients d’elles, pourraient être ainsi.
 (a) Certains philosophes ont, je pense, soutenu que ces entités étaient mentales, parce qu’ils échouaient à distinguer entre elles et la conscience que nous en avons  – échouant à distinguer, par exemple, entre une couleur bleue que je vois, et la conscience que j’ai d’elle lorsque je la vois. Par exemple, je pense qu’il est évident dans certains passages de Hume qu’il n’est pas parvenu à distinguer ces deux sortes d’entités. En fait, il confondait souvent un acte de conscience avec ce dont nous sommes conscients. Et nous pourrions, par conséquent, dire de lui qu’il pensait que les sense-data sont mentaux, en partie parce qu’il les prenait à tort pour des actes de conscience. Mais il est clair, je pense, qu’ils ne sont pas des actes de conscience, quoiqu’ils soient. Ils ne sont pas, par conséquent, « mentaux » dans mon sens fondamental et premier.
Une deuxième conception qui pourrait être soutenue et qui, je pense, a été souvent impliquée, est celle dans laquelle ils sont ce que j’ai appelé des « qualités » des actes conscients, et « mentaux » en ce sens. Mais je pense qu’il est clair que cela n’est pas non plus une conception vraie. Il me semble évident que la relation qu’une couleur bleue entretient avec la conscience que j’en ai, lorsque je la vois actuellement, est plutôt différente de celle que la qualité, qui différencie une volition ou une croyance d’une simple appréhension, entretient avec l’acte de conscience qui est une volition ou une croyance. Lorsque je suis conscient d’une couleur bleue, mon acte de conscience est une conscience de cette couleur : je suis conscient de cette couleur. Mais lorsque je veux qu’une action soit faite, cet acte de conscience n’est pas une conscience de la qualité qui en fait une volition. Je pense, par conséquent, qu’il est évident que les sense-data, lorsque je suis conscient d’eux, ne sont pas des qualités de mon acte de conscience, quel que soit le sens dans lequel ce qui est une qualité d’un acte de conscience doive être « mental ».
Une troisième conception semble être que les sense-data sont mentaux au sens où ils ont, avec mes actes mentaux, la même relation qu’ont mes actes mentaux les uns avec les autres, et que je décris quand je les appelle « les miens ».  Cette conception, brièvement, est que les sense-data sont « mentaux » dans le deuxième sens que j’ai reconnu plus haut : celui où les sense-data, dont je suis directement conscient, sont « dans mon esprit », et directement reliés à mon esprit, exactement au sens où l’est ma conscience directe à leur propos. Et en opposition à cette conception, j’ai seulement à dire qu’il ne me semble pas que ce soit le cas. Je ne peux me persuader qu’une couleur bleue, que je vois, soit en relation avec moi exactement de la même façon que l’est ma vision de celle-ci. Elle ne me semble en aucune façon être en relation avec moi, hormis du fait que je suis conscient d’elle. Mais ma conscience à son propos est en relation avec moi d’une manière plutôt différente. De ma conscience, je ne suis en aucune façon toujours conscient. La relation qu’elle entretient avec moi est simplement qu’elle est ma conscience, un acte de conscience m’appartenant : et le bleu que je vois ne me semble certainement pas être « mien » en ce sens, quel que puisse être ce sens. Je ne peux donc accepter la conception selon laquelle tous les sense-data dont je suis directement conscient – « sense-data » proprement dits ou images – sont reliés à mon esprit, ou à moi-même, de la manière par laquelle ma conscience d’eux et mes autres actes mentaux sont en relation avec moi. Et je me demande si qui que soit serait capable de ressentir avec certitude qu’ils lui sont reliés de la sorte. La relation que mes actes mentaux ont avec moi et les uns aux autres – la relation que j’indique en les appelant « miens » – me semble être une relation très particulière, et, en pratique, je peux distinguer avec le plus haut degré de certitude si un acte mental l’a ou non ; je suis difficilement en danger de confondre un acte mental d’une autre personne avec l’un des miens, et même si je devais les confondre, je saurais très bien (bien que je ne puisse le définir) ce que j’entends en les appelant « miens ». Comment suis-je certain que les sense-data dont je suis conscient sont reliés à mes actes mentaux de la manière particulière par laquelle mes actes mentaux sont reliés les uns aux autres ? Tout ce que je peux dire est qu’ils ne me semblent pas être tels, que je ne peux voir de trace qu’ils soient ainsi. Mais de l’autre côté, ce dont il est question ne me semble pas porter sur ce dont, à présent, il est possible d’être certain – d’être certain dans les deux cas. Je conclus, donc, qu’il n’est en aucune façon certain que les sense-data ou images dont je suis directement conscient soient reliés à moi de la sorte : je ne vois pas de raison pour penser qu’ils le sont ; mais s’ils l’étaient, alors, je pense, ils seraient dans un sens parfaitement adéquat des entités « mentales ».
Mais finalement, il peut être affirmé encore sur une autre base que ces sense-data sont mentaux. Il peut être affirmé que tout sense-datum, dont je suis directement conscient, est une entité qui seulement est au moment où je suis conscient d’elle : que lorsque ma conscience d’elle cesse d’exister, elle cesse au moins toujours d’être immédiatement ; qu’elle est, seulement et aussi longtemps que je suis conscient d’elle. Et c’est la même chose dans le cas des autres esprits : que tous les sense-data dont quelqu’un est jamais conscient sont des entités qui sont seulement aussi longtemps que cette personne est conscient d’eux. C’est une propriété qui me semble appartenir à toutes les « images » ; et le fait qu’elle le fasse me semble suffisant pour expliquer pourquoi les gens devraient être enclins à dire que les « images » sont simplement dans leurs esprits. Mais que tous les sense-data, qui sont au sens strict « donnés par les sens », aient aussi cette propriété, me semble une question très difficile. Ici de nouveau, il me semble y avoir de bons arguments de chaque côté ; mais aucun propre à justifier une certaine conclusion dans les deux cas. Et je n’ai pas de place ici pour les prendre en considération aussi pleinement qu’ils le méritent. Ce que je souhaite examiner est si, supposant qu’il en aille ainsi, nous serions justifiés à dire que tous les sense-data sont mentaux ; si, par exemple, supposant que toutes les images dont je suis directement conscient sont des entités qui ont de l’être seulement tant que je suis directement conscient d’elles, je serais justifié à dire qu’elles étaient toutes mentales et qu’elles n’avaient d’être que dans mon esprit. Il me semble que nous pourrions dire cela dans un très bon sens. Si cette conception était vraie, les sense-data dont nous sommes directement conscients seraient certainement attachés aux esprits de chacun de nous dans un sens très étroit et très intime ; et qu’ils doivent être attachés à nos esprits, en ce sens, serait une de leurs plus importantes propriétés métaphysiques. Mais cependant il me semble qu’il y aurait un grand risque de confusion à dire qu’elles étaient « mentales » ou « simplement dans l’esprit » ou « faisant partie de l’esprit » sur cette base seulement. Il me semble que jamais aucun philosophe, lorsqu’il dit d’une entité qu’elle est « mentale », entend  simplement qu’elle a cette propriété. Je ne peux croire, par exemple, que le Dr. Wolf, lorsqu’il affirmait que les images étaient « mentales » et « une partie de l’esprit », voulait simplement asserter qu’elles avaient cette propriété – simplement qu’elles étaient des entités qui ne sont qu’aussi longtemps que nous sommes directement conscients d’elles. Il est, je pense, toujours impliqué lorsqu’une entité est dite « mentale » sans qualification, qu’elle est telle dans l’un des autres sens que j’ai considérés ; et par conséquent, si en appelant les sense-data « mentaux », on entend simplement asserter qu’ils ont cette propriété, il faudrait toujours qu’il soit expressément affirmé que c’est ceci et seulement ceci qui est entendu.
 (b) Je passe maintenant à la considération que les sense-data peuvent être « dans l’esprit » même lorsque nous ne sommes pas directement conscients d’eux. Et ma raison pour considérer cette supposition de façon séparée de la précédente est que, dans leur cas, il ne peut évidemment pas être entendu simplement qu’ils sont aussi longtemps que nous sommes conscients d’eux, car il est expressément affirmé qu’ils sont lorsque nous ne sommes pas conscients d’eux. Tous les arguments, par conséquent, destinés à montrer que les sense-data, dont nous sommes directement conscients, existent seulement lorsque nous sommes conscients d’eux, ne peuvent être utilisés en aucune manière en faveur de cette seconde hypothèse ; et cependant il me semble que ces arguments sont de loin plus forts que tous les autres pouvant être utilisés pour prouver que les sense-data sont « mentaux » dans quelque sens que ce soit. Si les sense-data, dont nous ne sommes pas conscients, peuvent être dans l’esprit, ils doivent l’être en l’un ou l’autre des sens que j’ai considéré, et les raisons que j’ai données pour se demander si les sense-data, dont nous sommes directement conscients, sont dans l’esprit dans l’un quelconque de ces sens, s’appliquera également à ces supposés sense-data dont nous ne sommes pas directement conscients. 





[1] The Subject-matter of psychology, Proceedings of the Aristotelian society, New Series, vol. 10, 1909-10.

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