Motto : Crapula ingenium offuscat. Traduction : "le bec du perroquet qu'il essuie, quoiqu'il soit net" (Pascal).

Ce blog est ouvert pour faire connaître les activités d'un groupe de recherches, le Séminaire de métaphysique d'Aix en Provence (ou SEMa). Créé fin 2004, ce séminaire est un lieu d'échanges et de propositions. Accueilli par l'IHP (EA 3276) à l'Université d'Aix Marseille (AMU), il est animé par Jean-Maurice Monnoyer, bien que ce blog lui-même ait été mis en place par ses étudiants le 4 mai 2013.


Mots-clefs : Métaphysique analytique, Histoire de la philosophie classique, moderne et contemporaine,

Métaphysique de la cognition et de la perception. Méta-esthétique.

Austrian philosophy. Philosophie du réalisme scientifique.

samedi 5 octobre 2013

Traduction de W.V.O. Quine : Whither Physical Objects ? (1976) ; Structure and Nature (1992). Par Diego Covu


[La publication de ces deux articles de Quine, classiques et d'une très grande beauté d'écriture, qui sont inédits en français, fait écho pour le SEMa à la discussion de Henry Laycock (2013), ici même, comme au travail de Guillaume Bucchioni sur Ned Markosian et Kathrin Koslicki. D'autres contributions seront fournies ensuite dans le site. Le second article de Quine, Structure and Nature, était une recension de Parts of Classes de Lewis. Il est éclairé notamment par les articles de Susan Haack que nous avons placés en lien]. 



Où sont passés les objets physiques ? (1976)
      

 W.V.O. QUINE


Qu’est-ce qui peut être compté comme un objet physique ? Nous pensons d’abord aux corps, mais la notion de corps est à la fois trop vague et trop étroite. Elle est trop vague en ce qu’il ne nous est pas dit par ce mot à quel point une chose doit être séparée, cohésive et bien profilée pour être qualifiée de corps. Et elle est trop étroite, puisque dans une visée ontologique, toute considération au sujet de ce qui est séparable, cohérent et susceptible d’approximation est hors sujet. Essayons plutôt de comprendre ce qu’est un objet physique, en première intention,  soit en le prenant simplement comme un agrégat matériel contenu dans quelque portion d’espace-temps, aussi éparpillée et discontinue qu'elle soit.

Cette notion large d’objet physique nous épargne la tâche inutile de la démarcation des corps. Elle nous apporte aussi d’autres avantages. Elle s’adapte habilement aux termes de masse tels que ‘sucre’, ‘air’ et ‘eau’. Un tel terme ne peut-être dit nommer un corps mais il peut tout à fait être interprété comme nommant un objet physique. Nous pouvons identifier le sucre à un unique et vaste objet physique éparpillé spatio-temporellement, consistant dans tout le sucre ayant jamais existé en tout temps et en tout lieu. Il en va de même pour l’air et l’eau.

Par un petit effort d’imagination, cette notion d’objet physique peut même être accommodée aux processus physiques et aux évènements, de la même façon que les corps : simplement en stipulant des collections plus ou moins éparpillées spatio-temporellement. Un jeu de ballon, par exemple, pourrait être identifié à la somme éparpillée des segments temporels appropriés aux joueurs, en ne considérant chaque joueur que pour sa durée de jeu.

Un tel compte rendu des événements peut avoir l’inconvénient de ne pas faire la distinction entre différents évènements s’il arrive qu’ils occupent la même portion d’espace-temps. Si un homme siffle un air sur toute la durée de son trajet vers l’arrêt de bus, et pas un instant de plus, l’évènement du sifflement de la mélodie et l’événement de sa marche vers le bus seront sans doute tout les deux identifiés au même segment temporel de l’homme. Ce résultat sera mal venu si quelqu’un sentait que nous devrions distinguer entre l’événement du sifflement et celui de la marche. Cependant, il n’est pas évident pour moi qu’ils aient besoin de l’être. Cela ne nous est peut-être pas très naturel de les identifier, mais je ne suis pas convaincu que nous perdions quoi que ce soit. Nous avons toujours la distinction générale entre le sifflement d’un air et une marche jusqu’au bus, parce que parfois les gens marchent jusqu’au bus sans siffler aucun air, et inversement. Ainsi nous transmettons encore de l’information à propos de l’homme quand nous disons qu’il a sifflé un air durant tout le trajet jusqu’au bus. Nous ne rendons pas trivial le rapport des faits quand nous identifions les événements.

La notion d’objet physique que j’ai proposée soulève cependant quelques interrogations. J’ai décrit un objet physique comme le contenu matériel de quelque portion d’espace-temps. Mais quel est dans ce cas le statut ontologique de ces portions d’espace-temps ? Elles seraient une sorte d’objet peu attractif, c’est certain ; trop intangible, trop abstrait, il est par trop d’aspects une création de l’esprit. Nous voudrions les exclure de notre ontologie, et à ce niveau nous le pouvons certainement. Quand j’ai décrit un objet physique comme un contenu matériel de quelque région spatio-temporelle, c’était juste ma façon de montrer à quel point j’envisage de façon large la portée de ma notion d’objet physique. Nous pouvons garder le contenu matériel et abandonner les régions.

Un autre problème se pose cependant à propos de la notion même de contenu matériel. Même dans ce domaine aujourd’hui tout n’est pas clair. La notion de matière vacille quand nous descendons au niveau des électrons. Cela n’a pas toujours de sens d’identifier un électron à travers le temps. En effet, il est parfois complètement arbitraire de dire si deux points-évènements a et b sont des moments du parcours d’un électron continu ou plutôt des moments des parcours de deux électrons différents. Le point événement a est suivi de b, pendant qu’un autre point événement voisin c est suivi de d  ; il peut être tout à fait arbitraire d’attribuer soit a et b à un électron et c et d à un autre, soit de les assigner de façon inverse, a et d à un électron, et c et b à un autre. Ce qui est objectif, au mieux, ce sont les points-évènements. Leur intégration en tant que traits de notre monde, ou en tant que particules qui perdurent, est matière à convenance et reste arbitraire à des degrés variables.

La conception naïve de matière tend ainsi à se dissoudre dans notre physique moderne. En fait cette dissolution est allée bien plus loin, à en juger par un compte rendu de Heinz Post.[1] Non seulement il peut être arbitraire d’identifier un électron à travers le temps ; il semble même qu’il ne soit pas très juste de distinguer différents électrons coexistant dans l’espace.  Considérons deux boîtes, que j’appellerai la boîte Est et la boîte Ouest, et deux électrons x et y. Selon le sens commun, x et y peuvent occuper ces boîtes de quatre façons différentes : ils peuvent être ensemble dans la boîte Est, ou ensemble dans la boîte Ouest, ou x peut être dans la boîte Est et y dans la boîte Ouest, ou inversement. Mais les découvertes en statistiques montrent ­— selon Post — que ces deux dernières possibilités apparentes doivent être comptées comme n’en formant qu’une : le fait que x soit dans la boîte Est et y dans la boîte Ouest doit être identifié avec le fait similaire opposé dans lequel x est dans la boîte Ouest et y dans la boîte Est. Le bilan est que nous ne devrions pas penser à des électrons individuels x et y, mais à des états de ces boîtes : les états sont le fait d'être simplement ou doublement affectés. La boîte Est peut être doublement affectée ou la boîte Ouest être doublement affectée ou les deux boîtes peuvent être affectées simplement, et ainsi il n’est plus question d’électrons mais seulement de boîtes simplement ou doublement affectées. Tout ce que nous venons de dire peut s’appliquer aussi bien aux électrons qu’aux autres particules élémentaires. La matière doit évidemment être abandonnée. Nous sommes plutôt du côté d’une théorie des champs, une théorie de la distribution des états à travers l’espace-temps.

Les physiciens nous régalent encore avec d’autres témoignages qui s’ajustent mal avec la notion de particule. Il y a le propos concernant la résolution cyclique des particules, comme si les particules pouvaient être les composantes des composantes d’elles-mêmes. Il y a en outre le fait bien établi de la convertibilité de la matière en énergie. Manifestement le vieil attachement des physiciens à la matière s’est relâché. La matière quitte le terrain, et la théorie des champs est à l’ordre du jour.

Qu’en est-il alors de nos objets physiques ? Nous avons supposé qu'ils sont le contenu matériel de portions de l’espace-temps. Devons-nous maintenant considérer que nos objets sont simplement ces portions de l’espace-temps elles-mêmes, sujettes à toutes les distributions d’états locaux dont elles peuvent être affectées ? Il y a quelques instants, il semblait que les régions d’espace-temps étaient une mince affaire, et que notre ontologie serait meilleure sans elles. Mais maintenant nos objets physiques sont eux-mêmes devenus si ténus que nous devons nous tourner vers les régions d’espace-temps pour pouvoir encore adhérer à quelque chose.

Là où nous en sommes arrivés pourtant, il faut faire le tri parmi quelques considérations curieuses. La réification des régions d’espace-temps est une chose ; réifier des régions de l’espace eût été une autre affaire, assez invraisemblable d’ailleurs. Si elles existaient, nous pourrions donner sens au repos et au mouvement absolu. Un corps serait absolument au repos aussi longtemps qu’il continuerait de remplir la même région. Mais puisque les corps ne sont réellement au repos ou en mouvement que relativement à un autre, et jamais absolument, la notion d’une région spatiale réelle doit être intenable.

Les régions d’espace-temps, au contraire, qui ont quatre dimensions, ne présentent pas de telles difficultés. Le parcours d’un corps peut être identifié avec une portion fixe de l’espace-temps, que nous pouvons spécifier dans les termes de l’un des nombreux systèmes de coordonnées de espace-temps. Certains choix de coordonnées représenteront le corps comme ayant bougé, et d’autres non. Il est intéressant de réfléchir au fait que la vision en quatre dimensions nous est de toute façon déjà imposée par la relativité du mouvement au sens classique et par celle de Leibniz, et pas seulement par la relativité d’Einstein. Evidemment la théorie d’Einstein la demande doublement.

C’est ici qu’entre alors en scène une façon de rendre le physicalisme ontologiquement signifiant. Les objets sont les régions de l’espace-temps elles-mêmes. C’est dans ces régions que les états physiques sont distribués. Et dès lors qu’en est-il de ces états : doivent-ils être considérés dans notre ontologie comme des objets abstraits d’un nouveau genre ?  

  Arrivés à ce point nous devons distinguer deux possibilités. La première est que nous n’ayons affaire qu’à un nombre limité d’états. Dans cette éventualité, notre langage inclura un simple prédicat pour représenter chaque état, et il n’y aura pas besoin de reconnaître les états eux-mêmes comme des objets. C’est seulement lorsque nous devons quantifier à propos d’une multitude d’objets, tels que les objets physiques et les régions d’espace-temps, que nous sommes engagés auprès des objets eux-mêmes comme valeurs de nos variables.

  Il est possible que, en continuant avec un nombre limité d’états des régions de l’espace-temps, nous devions aussi considérer un nombre limité de relations entre régions. Mais cela ne change pas la question. Chaque relation peut-être linguistiquement accommodée par des prédicats polyadiques, toujours innocents quant aux présomptions d’existence d’un objet correspondant.

Or selon une autre possibilité nous aurions affaire à un nombre infini d’états ; à savoir les variations d’intensité des divers propriétés mesurables. Dans ce cas nous n’aurions pas encore besoin d’étendre notre ontologie pour y inclure des choses telles que les états, les propriétés ou les intensités, mais nous devrions inclure les nombres qui mesurent ces intensités.

  L’admission des nombres et des autres objets abstraits des mathématiques est une éventualité qui doit être examinée, aussi attristant que cela paraisse. Aucune voie n’a été identifiée qui permette de faire le travail de la science naturelle sans les mathématiques, et aucune non plus qui permette de faire des mathématiques sans faire usage de ses objets.

   La théorie des ensembles est une voie d’intégration familière de l’univers entier des objets mathématiques – les nombres, les fonctions et le reste. Une fois que nous avons admis à contre cœur toute l’ontologie de la théorie des ensembles, nous pouvons recevoir quelque consolation d’une curieuse prime qui vient en surplus : nous pouvons tout aussi bien nous dispenser des autres parties de notre ontologie, les régions de l’espace-temps. En effet, maintenant que nous avons l’appareil mathématique au complet, nous pouvons invoquer les coordonnées cartésiennes et identifier chaque point de l’espace-temps avec un simple quadruplet de nombres réels. Les prédicats qui attribuaient précédemment des états aux points ou aux régions s’appliqueront maintenant plutôt aux quadruplets de nombres, ou à des ensembles de quadruplets.

  Ainsi considérez l’exemple familier de l’attribution d’une température. Ce qui admet une température, à proprement parler, n’est pas un point, mais une petite région spatio-temporelle. Un prédicat dyadique est alors convoqué, prédicable d’un nombre et d’un ensemble de quadruplets de nombres : ainsi ‘Fxα’, signifiant que la température moyenne en degrés Kelvin de la région dont les coordonnées comprennent l’ensemble α est x. La notion de température et son échelle de mesure sont condensées dans le prédicat monolithique ‘F’. Le travail de la référence objective est maintenant dévolu aux variables mathématiques ‘x’ et ‘α, dont les valeurs sont des nombres purs et des ensembles de quadruplets de nombres. Tels sont maintenant les référents de notre univers.

  Un tel système semble arbitraire à deux égards : de par ses unités de mesure et son choix d’un cadre de référence fixe. Cependant, nous pouvons sûrement remédier à l’aspect arbitraire des unités en nous fixant sur des unités ayant une signification au niveau cosmique : les unités qui permettent les théories les plus simples. Quant au cadre de références fixe, nous ne le mettrons pas en avant là où il est inopportun, c’est-à-dire dans les niveaux les plus théoriques de la physique. Les lois à ce niveau quantifieront généralement sur des quadruplets de nombres réels, sans en désigner aucun spécifiquement. La spécificité des coordonnées ne se fera entendre que quand nous descendrons dans des domaines plus grossiers tels que l’astronomie, la géographie, la géologie et l’histoire, et cela est sans doute approprié à ces niveaux.

Maintenant reste la question des éléments fondamentaux. Prenez les membres de mes ensembles, puis les membres de ces membres s’il y en a, ainsi de suite en descendant jusqu’à atteindre le point le plus bas : jusqu’à ce que les ensembles disparaissent, jusqu’aux individus en un certain sens. Ce sont les éléments-fondamentaux ; mais que pourraient-ils être ? Non pas des objets physiques ; ils mènent aux régions de l’espace-temps. Mais les régions de l’espace-temps mènent à leur tour aux ensembles de quadruples de nombres ; et ainsi rien ne se propose à nous. Cependant, tout cela est sans gravité. Depuis Fraenkel et von Neumann, une théorie des ensembles sans élément premiers a même été assez en vogue. Il y a l’ensemble vide, l’ensemble-unité de l’ensemble vide ; il y a l’ensemble de ces deux ensembles, et ainsi de suite. Nous obtenons ainsi une infinité d’ensembles finis. Puis nous prenons tous les ensembles finis et infinis ayant les premiers pour membres. En continuant ainsi nous ne souffrons d’aucune carence. Cela est connu sous le nom de théorie des ensembles purs. Et il me semble en avoir fini avec ce qui fait mon ontologie : des ensembles purs.

Nos objets physiques se sont évaporés en de simples ensembles de coordonnées numériques. Voilà un résultat, nous l’avons vu, qui est celui de la physique elle-même. Mais cela a toujours été une option possible,  indépendamment même des difficultés théoriques à propos des objets physiques. Quand les objets physiques étaient encore là, leurs coordonnées les déterminaient de façon unique et pouvaient ainsi être utilisées pour les nommer de façon systématique. Compte tenu de ces faits nouveaux, le virage ontologique est un pas supplémentaire aisé. D’un point de vue formel, il s’agit simplement du regroupement verbal d’un terme complexe. Au lieu d’analyser le terme "température en degrés centigrades de l’objet dont les coordonnées sont α" dans un foncteur long mais logiquement simple avec  "température en degrés centigrades de" et un terme complexe "l’objet dont les coordonnées sont α", nous l’analysons dans un foncteur encore plus long mais logiquement simple : "température en degrés centigrades de l’objet dont les coordonnées sont" et un simple terme "α".

  Carnap proposait déjà une telle Koordinatensprache en 1934[2], et ce non pas à cause de contraintes sur la notion d’objet physique provenant de la physique ; car le projet a également un certain intérêt intrinsèque. Les nombres et les autres objets mathématiques sont de toute façon nécessaires à la physique, on devrait donc apprécier aussi leur commodité comme coordonnées des objets physiques ; puis, comme nous sommes allés aussi loin, nous pouvons économiser encore un peu en nous dispensant des objets physiques.

Cependant, cet attrait a d’habitude cédé face à notre robuste sens de la réalité des objets physiques. En tant que physicalistes nous avons accueilli les corps à bras ouverts. De bon cœur, nous avons également ouvert la voie à d’autres objets physiques, bien que difformes et mal tricotés, car au fond ils leurs semblaient apparentés. D’un autre côté les objets mathématiques sont parvenus sur la scène ontologique mais   à contrecœur seulement, pour services rendus. Une façon de se passer d’eux et de ne composer qu’avec une ontologie strictement physique aurait vraiment été la bienvenue, tandis que la réduction opposée n’avait aucun attrait pour nous.

Il est ironique alors que nous ayons tout au long de notre réflexion été contraints à cette sorte de réduction anti-physique à cause de la physique elle-même. C’est cela que j’ai voulu faire apparaître. Les corps étaient préférables, mais ils avaient besoin d’être généralisés aux objets physiques pour des raisons qui reposaient sur des préoccupations physiques : nous voulions fournir un designatum aux termes de masse, et nous voulions apparier des processus physiques ou des événements. Les objets physiques s’évaporèrent ensuite dans les régions spatio-temporelles ; mais cela était le résultat de la physique elle-même. Finalement les régions devinrent des ensembles purs ; pourtant, la théorie des ensembles elle-même n’était là que pour le seul besoin des mathématiques en tant qu’adjointe à la théorie physique. Ce biais est physique de bout en bout, en dépit de la légèreté de l’ontologie.

C’est une ontologie d’entités abstraites, non pas d’entités mentales. Si nos ensembles sont des idées, ce sont des idées dans un sens platonicien plutôt que mentaliste. Notre débâcle ontologique, si débâcle il y a, est un triomphe non pas de l’idéalisme subjectif mais de l’hyper-Pythagorisme. Les ensembles sont des nombres et ce qui reste est d’un genre assez proche.

Nous devons ensuite noter que ce triomphe de l’hyper-Pythagorisme est en rapport avec les valeurs des variables de la quantification, et non avec ce que nous disons à leur propos. Cela concerne l’ontologie, et non l’idéologie. Les choses qu’une théorie juge qu’il y a sont les valeurs des variables de la théorie, et ce sont celles-ci qui se sont résolues d’elles-mêmes en nombres et en objets semblables — et finalement en ensembles purs. L’ontologie de notre système du monde se réduit ainsi à l’ontologie de la théorie des ensembles, mais notre système du monde ne se réduit pas à la théorie des ensembles, car notre lexique de prédicats et de foncteurs se place résolument à part.

Le foncteur polysyllabique dernièrement cité est caractéristique : "température en degrés centigrades de l’objet dont les coordonnées sont". Permettez-moi de l’abréger par ‘f’’. Il se rapporte à des ensembles purs ; nous avons ‘ f α = x ’. α est un ensemble de quadruples de nombres et x un nombre. Mais il n’y a ni peur ni espoir, ni même l’idée de traduire ce ‘f’’ lui-même uniquement dans la notation de la théorie des ensembles : dans le ‘ε’ d’appartenance et les symboles de la logique. La relation des coordonnées d’un lieu à la température centigrade de ce lieu est effectivement une relation entre nombres, une relation entre ensembles, mais cela n’est assurément pas une relation arithmétique, ce n'est pas une relation au sein de la théorie des ensembles.

Par une extraordinaire coïncidence et un effort de l’imagination cela pourrait être le cas d’ailleurs : il pourrait y avoir des formules complexes dans la notation de l’arithmétique pure ou de la théorie des ensembles qui produiraient l’appariement correct des coordonnées de tout lieu à leur température, à travers tout l’espace-temps. Mais rien ne nous incline à penser cela – aucune inclination à penser qu’une formule mathématique puisse fixer la température en tout lieu et pour l’éternité. Notre idéologie physique reste irréductible aux mathématiques pures, en dépit de toute la débâcle ontologique. Nous devrions naturellement réagir à cet état de choses en attachant moins d’importance aux simples considérations ontologiques que ce que nous avions l’habitude de faire. Nous devrions regarder comme quelque chose de normal le fait que les mathématiques pures sont le locus de l’ontologie, et considérer plutôt que le lexique de la science naturelle, et non l’ontologie, est le lieu des agissements métaphysiques.[3]

(Essays in Memory of Imre Lakatos, 497-504.)




Structure and Nature (1992)

 


W. V. O. Quine


Nous nous sommes familiarisés avec trois façons adéquates mais incompatibles d’inscrire la théorie des nombres dans la théorie des ensembles, ou dans la théorie des classes ; et elles sont infiniment plus nombreuses. Nous rejetons les nombres sans nous soucier des classes que nous avons bannies pour cela parmi la multitude des alternatives. Nous nous contentons d’opérer quelque part dans l’ontologie des classes dans lesquelles nous nous sommes déjà engagés pour d’autres raisons. Cette situation, qui avait été remarquée depuis longtemps par Paul Benacerraf[4] et par d’autres, reçoit une expression formelle dans les énoncés à la Ramsey.[5] Ce genre d’énoncé affirme simplement qu’il y a des classes obéissant aux lois désirées – les lois arithmétiques dans ce cas – puis procède à l’application de ces classes non spécifiées dans la réalisation du travail arithmétique que nous avions en tête.

Tel est le traitement structuraliste des nombres. Il s’agit juste d’une façon d’éliminer une question vaine – « Qu’est ce qu’un nombre ? » – et d’une décision gratuite parmi différentes alternatives. L’économie en ontologie n’est pas son propos ; les mêmes vieilles classes sont présupposées.

David Lewis[6] s’est risqué à franchir le pas suivant : un traitement structuraliste des classes elles-mêmes. De la même façon que le structuralisme pour la théorie des nombres dépend des diverses voies de réduction des nombres aux classes, le structuralisme pour la théorie des classes doit dépendre de la réduction à … – quoi ? Pour Lewis, comme pour la plupart d’entre nous, j’aime à le penser, il y a seulement des classes et des individus concrets. Ainsi son structuralisme est effectivement ontologiquement signifiant, il professe une réduction des classes aux individus – d’où un nominalisme pur et dur.

Le structuralisme arithmétique, tel qu’il est exprimé dans les énoncés à la Ramsey, dépend de l’existence de classes dans lesquelles les structures arithmétiques requises pourront être définies et réalisées, bien que nous soyons libres de choisir parmi les différentes alternatives. Cela est similaire au structuralisme des classes de Lewis ; il dépend, quant à sa vérité, de l’existence d’individus dans lesquelles les structures des classes désirées pourront être définies et réalisées. Ainsi a-t-il besoin d’une théorie des individus.

Ici il fait usage de la méréologie : soit la théorie des touts et des parties, avec les atomes. Il y parvient par d’ingénieuses constructions, en supposant admis le fait contingent qu’il y a un nombre suffisant d’atomes, et en admettant les vues de George Boolos[7] en logique du second ordre comme une logique de quantificateurs pluriels sans classes. S’il n’y a pas assez d’atomes, alors il s’avère que les plus fines avancées de la théorie des ensembles restent sensées, mais sont fausses. Savoir ce qui est vrai de la théorie des ensembles en viendrait à dépendre de la taille de l’univers concret : de combien d’atomes il y a. Qu’il n’y ait qu’un nombre fini d’atomes, voilà ce qui peut arriver de pire pour la théorie classique des ensembles, même dans sa version la plus faible. La vérité en mathématiques en vient ici à dépendre de la richesse de la nature. Lewis apprécie tout cela. 

Incertains quant à la richesse de la nature, nous pouvons tout de même poursuivre la théorie des ensembles de plus haut niveau dans un esprit de conjecture, en nous renseignant pour savoir à propos de ce qu’elle serait si la nature était suffisamment pourvoyeuse. Dans tous les cas, la construction de Lewis rend l’ensemble de la théorie des ensembles intelligible de son point de vue nominaliste, indépendamment du fait de connaître combien de choses sont ainsi rendu vraies et combien fausses. Enfin, assez ironiquement, l’utilité scientifique des mathématiques appliquées est indépendante de tout cela.

Le structuralisme pour les classes, et donc pour tous les objets abstraits, est indéniablement sympathique. Il est des choses qui ne sont en fait connues qu'en fonction de leur rôle structurel dans le discours cognitif, et jamais par ostension. Par l’ostension et l’extrapolation nous apprenons ce qui qualifie les individus comme membres de la classe des chats, mais non pas que la classe elle-même ne soit juste qu'une entité abstraite avec laquelle chaque chat entretient une cryptique relation epsilon. Votre classe de chats et la mienne peuvent bien être différentes, tout comme peuvent différer nos relations d’appartenance, si cela avait un sens de le dire de cette façon, bien que pour chaque chat en particulier nous voyions les choses du même œil. Tel est l’intérêt du structuralisme eu égard aux objets abstraits.

Quoique j’admire la réduction de Lewis, elle ne me convient pas. Ma propre ligne de pensée est un structuralisme beaucoup plus général, qui s’applique sans discrimination aux objets concrets comme aux objets abstraits. Je le fonde, aussi paradoxal que cela puisse sembler, sur une approche naturaliste de l’épistémologie. La science naturelle nous dit que notre accès cognitif constant avec le monde qui nous entoure est limité à de maigres canaux d'information. Il y a le déclenchement de nos récepteurs sensoriels par l’impact des rayons lumineux et des molécules. Il y a aussi les différences dans les efforts musculaires ressentis selon que l’on monte ou que l’on descende une côte. Et quoi de plus ? Même la notion d’un chat, en laissant de côté la classe ou le nombre, est un artefact humain, qui trouve sa source dans des prédispositions innées et dans la tradition culturelle. La notion d’objet, en tant que telle, que celui-ci soit concret ou abstrait, est une contribution humaine, une particularité de l’appareil dont nous avons hérité pour organiser la somme amorphe de nos entrées nerveuses.

Le langage, le véhicule de la science, est lié à nos entrées nerveuses par des mécanismes neuronaux d’association ou de conditionnement. Très tôt dans notre apprentissage du langage, nous apprenons à associer certaines expressions avec certaines séries d’entrées nerveuses. J’appelle ces expressions des énoncés d’observation. Grammaticalement, certains sont même des phrases, par exemple : " il pleut", et d’autres sont des noms ou des adjectifs, ainsi : "chat", "lait" ou "blanc". Pour commencer, il n'y a rien que des expressions associées holophrastiquement à des séries d’entrées nerveuses. Elles sont comme on pourrait le dire avec William James “Bonjour, machin-chose encore ” [Hello, thingumbob again] – excepté que même ‘machin-chose’ insinue encore plus de référence objectuelle que je ne souhaiterais. L’énoncé d’observation ne nomme rien pour commencer, ni l’entrée nerveuse ni l’objet extérieur. Mais cela est appris des adultes qui ont eux-mêmes appris les voies de la référence, donc c’est effectivement une expression telle que "il pleut" ou "chat" ou "lait" ou "blanc", qui est destinée à une intégration éventuelle dans un système de références objectuelles de la part de l’enfant lui-même au cours de son développement. Ce système croissant de termes et de prétendus objets est notre science de la nature, notre organisation de la somme des entrées nerveuses.

La réification et l’implication sont les principes clés par lesquels cette organisation procède. Nous maîtrisons l’implication dans le cours de l’apprentissage des particules logiques, telles que ‘ne pas’, ‘et’, ‘ou’, ‘si’, ‘tous’, ‘quelque’. Par exemple, notre apprentissage de l’usage de ‘ne pas’ et de ‘ou’ consiste d’une part à apprendre à donner notre assentiment à ‘q’ toutes les fois que nous avons donné notre assentiment à ‘non p’ et ‘p ou q’. Notre apprentissage de ‘tous’ consiste d’une part à apprendre à donner notre assentiment à ‘a est un G’ une fois que nous avons donné notre assentiment à ‘a est un F’ et ‘Tout F est un G’.

C’est lors d’implications de cette dernière sorte que la réification joue un rôle, dans le fait que nous ayons réifié l’objet a ainsi que les Fs et les Gs . La réification des corps vient par étapes dans notre acquisition du langage, chaque étape successive devenant de façon toujours plus claire et emphatique une affirmation d’existence. La dernière étape intervient quand le corps est reconnu comme identique à travers le temps, malgré de longues absences et des modifications intermittentes. Une telle réification présuppose un schématisme élaboré de l’espace, du temps, des orientations et des trajectoires cachées puis conjecturées, de la part de corps interagissant causalement. De telles identifications à travers le temps sont un facteur majeur pour le tissage des implications dans la fabrique croissante des hypothèses scientifiques.

Dans les étapes plus sophistiquées du développement du langage et des sciences, les implications sont améliorées en posant de nouveaux objets qui ne sont plus observables ; ainsi les particules invisibles à l’œil nu, mais aussi les nombres et autres classes.

Les implications ainsi forgées sont ce qui relie notre théorie scientifique en évolution à nos entrées nerveuses hétérogènes, et ainsi finalement au monde extérieur que notre théorie scientifique prétend décrire. Cette fabrique d’énoncés entrecroisés accroche les entrées nerveuses aux énoncés d’observation. Certains d’entre eux, nous l’avons vu, sont appris au cours d’un conditionnement primitif en relation avec des séries d’entrées nerveuses. Beaucoup d’énoncés d’observation plus avancés, ou plus sophistiqués, sont des énoncés scientifiques rétroactivement associés à l’observation par l’intervention de la théorie ; ainsi le chimiste voit en un coup d’œil qu’il y avait du cuivre dans la solution, et perçoit en le humant l’échappement de dioxyde de soufre. Maintenant, la voie par laquelle l’implication lie la théorie aux entrées nerveuses est qu’un faisceau d’hypothèses scientifiques est fondé en sorte qu’il implique que la réalisation de l’un des deux énoncés d’observation donnés assure toujours la réalisation de l’autre. Cela dicte une expérience : on apporte de quoi réaliser le premier, et on vérifie le second. En cas d’échec du second le faisceau d’hypothèses est discrédité ; l’une d’entre elles doit être retirée.

Telle est sûrement, dans une caricature schématique, la relation évidentielle que la théorie scientifique entretient avec la stimulation de nos neurorécepteurs par le monde extérieur. Je me suis aventuré à donner plus de détails ailleurs,[8] et beaucoup plus demande à être entrepris. Peut-être une part plus claire de la science pourrait être fondée sur une analyse plus complète afin d’être tout à fait à l’abri de l’évidence. Mais cette esquisse suffira pour ce que je veux dire à propos du structuralisme.
Le point que je veux maintenant aborder est celui qu’au cours des années j’ai répété dans les termes de ce que j’appelle les fonctions déléguantes. L’idée est que si nous transformons l’étendue des objets de notre science par le biais d’une corrélation univoque quelconque, en réinterprétant nos termes et nos prédicats de telle façon qu’ils s’appliquent aux nouveaux objets à la place des anciens, le support évidentiel entier de notre science n’en sera pas perturbé. La raison est double. D’abord, l’implication dépend seulement de la structure logique et est indépendante de ce que les objets, les valeurs des variables, peuvent être. Ensuite, l’association des énoncés d’observation avec les séries d’entrées nerveuses est holophrastique. Cela est indépendant des réifications et de n’importe quels objets auxquels les énoncés d’observation ou leurs parties se réfèrent comme à des termes.

La conclusion est qu’il ne peut y avoir d’évidence pour une ontologie au détriment d’une autre, aussi longtemps que nous pouvons exprimer une corrélation de type un-un entre l'une et l'autre. Sauvez la structure et vous sauvez le tout. Certainement sommes-nous dépendants d’une ontologie familière de corps mésoscopique au commencement de la réification, aussi bien en tant qu’individus qu’en tant qu’espèce, mais une fois que nous avons une ontologie, nous pouvons en changer en toute impunité. Pour les objets abstraits ce n’est pas surprenant et c'est en fait assez dans l’esprit de Ramsey, Lewis et Benacerraf. Pour les corps qui nous sont familiers cela est moins intuitif. Mais nous devons ici garder à la pensée qu’un énoncé d’observation comme : "C’est un lapin" conserve toutes ses associations visuelles originales ; c’est seulement le prétendu objet qui est gratuitement déplacé.

Ce structuralisme ontologique global pourrait sembler abruptement dissonant par rapport au réalisme, sans parler du naturalisme. Cela semblerait même miner le sol sur lequel je le fondais : c'est-à-dire mon propos concernant l’impact des rayons lumineux et des molécules sur les terminaisons nerveuses. Ces rayons, ces molécules et ces terminaisons nerveuses ne sont-ils pas maintenant eux-mêmes disqualifiés à titre de purs figments d’une structure vide ?

Le naturalisme lui-même vient sauver la situation. Le naturalisme ne regarde que la science naturelle, toute faillible qu’elle soit, pour nous faire le compte-rendu de ce qu’il y a et de ce que cela fait. La science entreprend des tentatives de réponses dans des concepts de fabrication humaine, nécessairement formulés dans un langage également de fabrication humaine [man-made language], mais nous ne pouvons pas demander mieux. La notion même d’objet, soit d’un seul, soit de plusieurs, est en effet aussi humainement bornée que les parties de nos discours ; cependant, demander ce qu’est réellement la réalité, indépendamment des catégories humaines, est en soi une question débilitante [self-stultifying]. Ce serait comme demander quelle est la longueur réelle du Nil, indépendamment des questions habituelles qui se traitent avec des miles ou des mètres. Les positivistes avaient donc raison de proscrire cette métaphysique comme étant dénuée de signification.

Mais les premiers positivistes avaient tort s’ils le faisaient quand ils concluaient que le monde n’est pas réellement composé des atomes et du reste. Le monde est tel que la science naturelle nous le décrit, dans la mesure où elle est vraie ; et notre jugement quant à sa vérité doit pouvoir trouver une réponse, toujours provisoire, dans le test expérimental de la prédiction.

Nous avons vu que la référence pouvait être complètement réinterprétée sans faire violence à l’évidence. Nous voyons maintenant qu’il s’agit seulement d’une partie d’un panorama plus large. Sûrement des points de départ encore plus extravagants, résistant même à une réinterprétation d’énoncé à énoncé dans notre propre science, pourraient se conformer aussi bien à toutes les observations possibles. Si nous devions rencontrer un tel cas, que nous reconnaîtrions comme tel, nous pourrions même réussir à en avoir la maîtrise pour nous retourner — puis aller de l’avant vers de plus riches perspectives sur le réel. Mais le naturalisme nous indiquerait encore que la réalité n’est à notre portée qu’à travers un schème conceptuel fabriqué de toute pièce par l’homme, bien que celui-ci puisse varier.

Mon structuralisme global ne devrait pas, par conséquent, être considéré comme une ontologie structuraliste. Le voir ainsi serait aller au-delà du naturalisme et revenir au péché de la métaphysique transcendantale. Mon ontologie provisionnelle reste constituée des quarks et de leurs composés, des classes de telles choses, des classes de ces classes, et ainsi de suite en attendant l’évidence du contraire. Mon structuralisme global est une thèse naturaliste à propos de l’activité prosaïque des hommes, au sein de notre monde de quarks, de nos théories conçues avec des quarks et des choses semblables à la lumière des impacts physiques sur la surface de nos récepteurs physiques.
                     

             The Journal of Philosophy, vol. 89 (1992), pp. 5-9.




[1] ‘Individuality and Physics’, The Listener, 10 Octobre, 1963. C’est l’effet Bose-Einstein
[2] Logische Syntax der Sprache, pp. 11, 40.
[3] Mes remerciements à Mr Burton Dreben pour avoir stimulé les dernières parties de cet article. Et un mot en conclusion semble approprié, encore, à propos de la quantification substitutionnelle ; mais seulement au niveau des notes de bas de page, pour des lecteurs connaissant les pages 104-114 de mon Roots of Reference (Open Court, 1974). Le conflit que j’y avais noté, entre la quantification objectuelle sur les individus et la quantification substitutionnelle sur les ensembles, disparaît maintenant que nous n’avons plus que les ensembles. De plus, l’objection faite à la quantification substitutionnelle au sujet de l’indénombrabilité semble faussée, comme cela est expliqué ici. Et sûrement la quantification substitutionnelle appliquée aux ensembles est-elle plus agréable au tempérament nominaliste que la quantification objectuelle, bien qu’elle ne soit pas innocente de tout engagement ontologique. La seule cause restante qui nous ferait encore hésiter à propos de la version substitutionnelle est l’imprédicabilité.
[4] "Mathematical truth", ce journal, vol. 70, no. 19 (novembre 1973), pp. 661-79.
[5] Franck Ramsey, The foundations of mathematics (New York, Routledge, 1931), pp. 212-36.
[6] Parts of classes ( New York, Blackwell, 1991 ).
[7] "Nominalist Platonism",  Philosophical Review, vol. 94, no. 3 (juillet 1985), pp. 327-44.
[8] The Roots of Reference ( Peru, IL, Open Court, 1974 ) ; et La Poursuite de la vérité ( France, Seuil, 1993 ).

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